communiqué de presse
A l’approche des élections législatives 2024, les ONG appellent à rendre la collecte de la Taxe sur les transactions financières plus performante afin de pouvoir financer les politiques publiques de la France, dont sa solidarité internationale.
Mardi 25 Juin, 2024
Paris, 25 Juin, 2024 // Télécharger le rapport « La taxation des transactions financières : optimiser le dispositif français » publié par Action Santé Mondiale avec le soutien des ONG ONE Action, Oxfam France et Global Citizen
Alors que les inégalités explosent en France, et que le manque de recettes publiques est au cœur des débats à l’approche des élections législatives anticipées, le monde de la finance, lui, continue d’être insuffisamment mis à contribution. Dans un rapport publié aujourd’hui, Action Santé Mondiale révèle qu'une partie de l'activité financière n'est pas assujettie à la TTF alors qu'elle devrait l'être. Le manque à gagner pour les finances publiques est ainsi estimé, de façon conservatrice, entre 1 et 3 milliards d’euros par an, soit potentiellement plus du double des recettes actuelles, notamment du fait de l’absence de transparence et de contrôle des modalités de collecte de la taxe confiée à l’acteur privé Euroclear. Ainsi, les ONG appellent le gouvernement à mettre fin à cette injustice flagrante, et les candidat⸱e⸱s aux élections à s’engager pour une TTF ambitieuse afin de financer les politiques publiques de la France et sa solidarité internationale.
La société civile n’a cessé de dénoncer la faiblesse de la TTF qui ne cible pas les transactions intra-journalières, activités parmi les plus spéculatives des marchés financiers. Or, les découvertes du nouveau rapport d’Action Santé Mondiale sont encore plus alarmantes. Le rapport dénonce de graves failles de recouvrement de la TTF dans lesquelles les acteurs de la finance peuvent s’engouffrer.
Lever le voile sur Euroclear
La TTF est l’une des rares taxes qui n’est pas collectée directement par l’administration fiscale française. La collecte a été confiée par l’Etat français à l’acteur privé Euroclear qui définit ses propres méthodes de recouvrement dans une totale opacité. La collecte dépend entièrement du bon vouloir des acteurs financiers qui auto-déclarent leurs transactions auprès d’Euroclear sans réelle capacité de contrôle de sa part ni de l’administration française.
« Nous assistons à une situation de conflit d’intérêt évident car Euroclear, en tant que dépositaire de titres financiers, collecte un impôt pour le compte de ses propres clients. » affirme Gautier Centlivre, coordinateur de plaidoyer à Action Santé Mondiale.
« Jusqu’à un quart des transactions échappent aujourd’hui à la TTF sans que l’on ne puisse vraiment expliquer pourquoi. Cette opacité nous amène légitimement à penser qu’il existe des erreurs massives dans les déclarations des acteurs financiers. Cela se traduit toujours par des pertes sèches de recettes fiscales pour les finances publiques. Est-ce normal que la TTF rapporte plus de 5 milliards à Londres et seulement 1,9 milliards en France actuellement ? », conclut Gautier Centlivre.
Renforcer la taxation du secteur financier, c'est possible
Lors de l’instauration de la TTF, l’absence de solutions techniques empêchait un recouvrement efficace des transactions intra-journalières qui se retrouvaient exclues sans raison de l'assiette de cet impôt. Or, suite à la révision de la directive européenne sur les marchés financiers de 2018, l’Autorité des Marchés Financiers (AMF) dispose désormais d’une base de données exhaustive détaillant toutes ces informations.
Tous les obstacles techniques ayant été levés, la France n'a plus aucune excuse pour ne pas agir aujourd'hui. Dans le contexte d’austérité, sans créer une nouvelle taxe, et en améliorant simplement le fonctionnement de l’existant, nous pourrions générer de nouvelles recettes. L’assiette fiscale pourrait ainsi être étendue jusqu’à 1 720 milliards d’euros alors qu’elle n’est que de 630 milliards d’euros actuellement. Cela donnerait de 1 à 3 milliards de recettes fiscales supplémentaires par an.
« L’AMF dispose depuis six ans d'un reporting de l’ensemble des transactions réalisées sur les actions boursières françaises. On peut estimer que, depuis 2018, avec le manque de transparence autour de la collecte d’Euroclear et les transactions intra-journalières non taxées, ce sont chaque année 1 à 3 milliards d’euros potentiellement perdus pour l’Etat, soit de 7 à 21 milliards depuis six ans.», poursuit Gunther Capelle-Blancard, économiste et rédacteur du rapport.
Le fait de renforcer le dispositif existant est une première étape vers une TTF réellement ambitieuse. Mais il est possible d’aller plus loin, les ONG ont calculé qu’une TTF renforcée avec un taux rehaussé à 0,5% pourrait rapporter plus de 8 milliards d’euros à l’Etat français.
Le secteur financier en très bonne santé mais pourtant insuffisamment taxé
Certaines grandes banques françaises ont vu leurs résultats s’envoler en 2023, comme la BNP qui a enregistré un bénéfice record de 11 milliards d’euros et avait même, l’année précédente, augmenté de 25% les bonus de ses meilleurs traders.
« À l’heure où les partis politiques républicains cherchent des solutions pour financer leurs programmes, nous leur conseillons de regarder du côté de la TTF. Nous devons exiger du secteur financier qu’il paie sa juste part à l’heure où les plus vulnérables subissent de plein fouet les différentes crises. » dénonce Alan Anic, chargé de campagne et de plaidoyer Solidarités internationales à Oxfam France.
Ces milliards qui coûtent des vies
Les milliards d’euros non collectés auraient pu permettre de renforcer l’Aide Publique au Développement (APD) de la France financée en partie grâce à la TTF. Et pourtant, l’APD a souffert d’une baisse de 11% entre 2022 et 2023 et une nouvelle coupe budgétaire de 742 millions d’euros est prévue pour 2024. Avec ces milliards, la couverture vaccinale dans les pays les plus pauvres aurait pu être améliorée, de nouveaux hôpitaux construits, de nouveaux médecins formés et des millions de personnes vulnérables mises sous traitement.
« La solidarité internationale ne doit pas être sacrifiée sur l’autel de la négligence administrative. Derrière ces chiffres, ce sont des vies que nous sacrifions. Chaque seconde, 100€ de taxe sur les transactions financières échappent à l’Etat, 100€ qui permettent de vacciner 20 enfants de moins de 5 ans. » conclut Friederike Roder, Vice Présidente Plaidoyer international à Global Citizen.
Recommandations des ONG
Par ailleurs, les ONG soutiennent l’élargissement de la taxe sur les transactions financières aux produits dérivés, tel que préconisé par la Commission européenne depuis 2011.
###
Marika Bekier
06 24 34 99 31
mbekier@oxfamfrance.org
Caroline Head
media@globalcitizen.org
Le rapport « La taxation des transactions financières : optimiser le dispositif français » a été commandité par Action Santé Mondiale à l’économiste Gunther Capelle-Blancard, spécialiste de la TTF.
Après une mobilisation inédite de la société civile, la taxe sur les transactions financières (TTF) avait été mise en place au lendemain de la crise financière de 2008 par le Président Nicolas Sarkozy pour réguler le secteur financier et financer la solidarité internationale. Effective depuis 2011, la TTF prélève une infime partie de chaque transaction financière – de l’ordre de 0,3% aujourd’hui – ce qui a rapporté 1,9 milliard d’euros pour l’Etat en 2023.
La TTF est appliquée aux transactions financières des entreprises françaises dont la capitalisation boursière dépasse les 1 milliards d’euros, soit 121 entreprises en 2024. Elle est calculée sur le total net des achats de titres en fin de journée et exclut, de fait, les opérations intra-journalières qui constituent une grande partie des transactions.
Les modalités de collecte de la TTF : chaque fin de mois, les intermédiaires financiers remplissent un tableau pour Euroclear en détaillant chaque transaction et déclarent le montant de la taxe dû.
En contrepartie de la prestation du recouvrement de la TTF, Euroclear bénéficie d’un décalage important entre le moment où il prélève la taxe et le moment où il la reverse à l’Etat. Cela lui permet de percevoir des intérêts sur ces fonds de l'ordre de 4,2 millions d’euros pour l’année 2022.
En 2017 déjà, la Cour des comptes déplorait la méthode de recouvrement de la TTF : « Le contrôle des déclarations et du recouvrement de la taxe sur les transactions financières est insuffisant : d’une part, l’administration ne connaît pas l’ensemble des transactions assujetties à la taxe ; d’autre part, le contrôle se heurte à de nombreuses difficultés juridiques et techniques. »
Concernant les transactions intra-journalières, aujourd’hui aucune raison économique ne justifie que l’on soit taxé si l’on détient une action plus d’un jour, ou juste quelques heures ou à peine une seconde. Cela va au contraire à l’encontre de tous les principes de l’économie financière qui préconisent les stratégies à long terme. Aujourd’hui l’argument justifiant la « non-taxation » des transactions intra-journalières car il y a une volonté de protéger la liquidité des marchés est irrecevable. En effet, la loi prévoit déjà d’exempter les activités de tenue de marché des entreprises d’investissement ou des établissements de crédit et celles réalisées au profit de l’émetteur d’un titre en vue d’assurer sa liquidité. Par conséquent la non-taxation des transactions intra-journalières n’a aujourd’hui aucune justification et ne reflétait pas l’intention initiale du législateur.
La taxe sur les transactions financières a la particularité d’être directement affectée à la solidarité internationale. En effet, en 2023, près de 30% du montant collecté de la TTF était assigné à l’Aide Publique au Développement française et soutenait ainsi les pays les plus vulnérables face à la pauvreté. Ces fonds peuvent servir à apporter de l’aide humanitaire, distribuer des vaccins ou bien encore à financer des associations féministes partout dans le monde.
Ce financement innovant pour soutenir la solidarité internationale est négligé par l’Etat et coûte aujourd’hui des vies. Cette défaillance française dans sa politique de solidarité est d’autant plus cruelle qu’elle intervient à un moment où les crises se multiplient et les besoins humanitaires explosent. Au Sahel, un quart de la population a besoin d’une aide humanitaire soit près de 24 millions de personnes. La Corne de l’Afrique connaît l’une des pires sécheresses de son histoire où plus de 37 millions de personnes ont besoin d’assistance en eau.
La TTF rapporte actuellement 1,9 milliard d’euros, en y ajoutant les 3 milliards d'euros perdus à cause des failles du recouvrement actuel tout en réhaussant le taux à 0,5%, nous obtenons 8,2 milliards d’euros de recettes fiscales.