Le nationalisme vaccinal a atteint de nouveaux sommets : les vaccins contre la COVID-19 produits en Afrique sont désormais exportés vers des pays d’Europe, alors que l’Afrique n’a toujours pas reçu les vaccins promis.

Selon le New York Times, les vaccins de Johnson & Johnson (J&J), qui sont remplis et terminés en Afrique du Sud, sont exportés par millions vers l’Europe tandis que le pays qui les produit n’a vacciné qu’un peu moins de 7 % de sa population. L’accord de production que l’Afrique du Sud a signé pour assembler les doses garantissait que le pays recevrait 31 millions de doses J&J. Or, le pays n’a administré qu’un peu plus de deux millions de vaccins J&J.

La production de vaccins en Afrique semblait être une lueur d’espoir pour le continent. En effet, les doses auraient pu être livrées aux pays voisins de l’Afrique du Sud avec beaucoup plus de facilité qu’en attendant des importations d’Europe, d’Inde ou des États-Unis. Les essais cliniques de J&J ont même eu lieu en Afrique du Sud, ce qui renforçait l’espoir que le continent pourrait avoir accès aux doses sans difficulté.

Malgré cela, l’Afrique n’est pas prioritaire dans les planifications mondiales de déploiement des vaccins, même si les doses sont conditionnées sur le sol national. L’Europe a administré le plus grand nombre de doses de vaccin que n’importe quel autre continent du monde, avec 93 doses pour 100 habitants. En revanche, et en raison du nationalisme vaccinal, il n’est malheureusement pas surprenant que l’Afrique ait administré le moins de doses parmi tous les continents, avec seulement six doses pour 100 personnes.

Selon le tableau de bord de l’équité vaccinale de l’Organisation mondiale de la Santé coûte très cher aux pays pauvres. Le nationalisme vaccinal fait référence aux pays riches qui accumulent plus de vaccins qu’il n’en faut pour leur population avant même qu’ils ne soient produits, laissant les pays pauvres se battre pour obtenir des doses. En conséquence, pour couvrir le coût de la vaccination d’au moins 70 % de leur population, les pays à faible revenu devront augmenter leurs dépenses de santé de 56,6 %. En revanche, les pays à revenu élevé n’ont eu qu’à augmenter leurs dépenses de 0,8 %.

La scientifique sud-africaine Glenda Gray, qui a aidé à diriger les essais de J&J en Afrique du Sud, a déclaré au New York Times que les sociétés pharmaceutiques devraient donner la priorité à la livraison de vaccins aux pays à faible revenu qui font partie de leur chaîne de production. « C’est comme si un pays fabriquait de la nourriture pour le monde et voyait sa nourriture expédiée vers des milieux aux ressources élevées alors que ses citoyens meurent de faim, » a-t-elle déclaré.

Avocate des droits de l’homme et défenseure de l’équité vaccinale, Fatima Hassan a également eu un mot sur les exportations de J&J en déclarant au New York Times : « Cela nuit à nos efforts visant à faire entrer rapidement des approvisionnements dans le système. »

Elle s’est également exprimée sur Twitter pour commenter la situation, la qualifiant de « grotesque » et soulignant davantage la nécessité de faire preuve d'équité et de transparence dans les accords sur les vaccins.

« C’est la raison pour laquelle les contrats relatifs aux vaccins doivent être divulgués maintenant, » a-t-elle déclaré. « Il est dans l’intérêt du public de savoir quels autres droits ont été abandonnés, au profit de qui, et pourquoi nous sommes alimentés au compte-gouttes... Il est clair que nous avons besoin de plusieurs licences et d’aucune exportation vers l’UE, ou tout autre pays riche, alors que les exportations continuent jusqu’en octobre, » a-t-elle ajouté.

Les vaccins sont exportés vers les pays occidentaux à cause de l’accord de l’Afrique du Sud avec J&J, un contrat confidentiel que le New York Times a pu consulter. Afin d’obtenir des vaccins pour le pays, l’Afrique du Sud a dû renoncer à son droit d’imposer des restrictions à l’exportation sur les doses. Cet échange n’était pas idéal, mais selon le porte-parole du ministère sud-africain de la Santé, Popo Maja, sans cet échange, l’Afrique du Sud n’aurait pas du tout eu accès aux doses de J&J.

« Le gouvernement n’a pas eu le choix, » a déclaré Maja dans un communiqué. « Signez le contrat ou pas de vaccin. »

Selon le New York Times, le directeur scientifique de Johnson & Johnson, le docteur Paul Stoffels a déclaré que la société pharmaceutique a fait de son mieux pour donner la priorité à l’Afrique du Sud, et il est prévu que l’usine dans le pays fournisse des doses exclusivement aux pays africains plus tard cette année.

Des projets visant à produire davantage de vaccins sur le continent sont également en cours, notamment avec la création par Pfizer d’une usine « de remplissage à la finition » en Afrique du Sud et des investissements dans un centre de production de vaccins à ARNm dans le pays. Toutefois, les fruits de ces projets ne seront pas visibles cette année, et le centre de production de vaccins à ARNm ne sera mis en place que si de grandes firmes pharmaceutiques telles que Moderna et Pfizer acceptent de partager leur technologie à ARNm avec le centre.

L’Afrique est actuellement confrontée à une troisième vague mortelle d’infections dues à la COVID-19 et se bat contre l’emprise du variant Delta. Malgré cela, le continent n’a vacciné que 2 % de sa population. Il attend les 400 millions de doses promises par J&J, qui doivent être fournies par l’Union africaine, et l’on estime que le continent ne devrait atteindre l’immunité collective (fixée à 67 % du continent) qu’en 2023.

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Par Khanyi Mlaba