Boris Johnson a annoncé mardi que le ministère du développement international (DfID) — la seule aile du gouvernement britannique consacrée à la lutte contre l'extrême pauvreté — sera supprimé et fusionné avec le ministère des affaires étrangères (FCO).
Cette décision est loin d'être purement administrative. Au contraire, les communautés marginalisées sont plus fragilisées que jamais face à la pandémie, et cette décision dévastatrice pourrait compromettre le soutien que le Royaume-Uni apporte aux plus pauvres du monde.
À l'heure où le monde s’unit pour lutter contre COVID-19, la suppression du DfID va à l'encontre d'un véritable élan de solidarité mondiale. Disons les choses telles qu'elles sont : La Grande-Bretagne fuit ses responsabilités en tant que puissance mondiale et tourne le dos aux plus vulnérables.
Le DfID est responsable de la majorité du budget britannique consacré à l'aide internationale ; c'est la seule tranche de notre budget national dédiée à la lutte contre l'extrême pauvreté, qui pousse 736 millions de personnes à vivre avec moins de 1,90 $ par jour. En tant que nation, nous pouvons tous en être extrêmement fiers.
La dernière fois que l'Angleterre a remporté la Coupe du monde, la moitié de la planète vivait dans l'extrême pauvreté. Aujourd'hui, cette proportion ne dépasse pas 9 % de la population mondiale.
Mais la COVID-19 menace de faire dérailler des décennies de progrès historiques. Les experts prévoient notamment que 50 millions de personnes supplémentaires pourraient basculer vers la pauvreté cette année, et les Nations Unies estiment que le monde est confronté à la pire crise alimentaire depuis 50 ans.
Le démantèlement du DfID ne pouvait pas tomber à un pire moment. Selon Bond, un réseau d'organisations britanniques à but non lucratif, le DfID est très respecté sur la scène internationale et bénéficie de l'expertise la plus pertinente pour lutter contre la pandémie.
On ne sait pas non plus s'il y aura encore un secrétaire d'État dédié au développement international (un poste occupé par Anne-Marie Trevelyan). Si ce poste est aussi supprimé, il n'y aura plus personne au sein du cabinet britannique pour défendre les besoins des plus pauvres dans le cadre de la réponse mondiale au virus. Cet enjeu serait repris par Dominic Raab, le ministre des affaires étrangères. Cela signifie que de nombreuses personnes seront laissées pour compte.
Mais ce n'est pas seulement une question d'aide. C'est aussi une question de justice : rappelons-nous de la fierté que nous éprouvons pour notre service national de santé (NHS) en insistant sur le fait qu'aucun enfant au Kenya ne mérite de mourir de maladies que nous savons prévenir ; assurons la scolarisation des filles lorsque le sexisme institutionnalisé les empêche de recevoir une éducation de qualité ; ou protégeons un agriculteur au Malawi dont les moyens de subsistance sont menacés par la crise climatique (et ce, même s'il émettra autant de carbone en un an que le Britannique moyen en 12 jours).
« La suppression du DfID affaiblit la place de la Grande-Bretagne dans le monde, a déclaré Sir Keir Starmer, chef du parti travailliste. Rien ne justifie cette déclaration aujourd'hui. Le Premier ministre devrait cesser ces distractions, et se mettre au travail pour s'attaquer à la crise sanitaire et économique à laquelle nous sommes actuellement confrontés. »
Abolishing @DFID_UK seriously undermines the UK's efforts to end extreme poverty. Take action with us now to #SaveAid:
— Global Citizen UK (@GlblCtznUK) June 16, 2020
◾ Demand #UKAid tackles extreme poverty first.
◾ Insist 50% is spent in low income countries.
◾ Urge @AnnieTrev to remain in cabinet.https://t.co/l7uVwKfGqe
Certains diront que l'engagement du Royaume-Uni en matière d'aide internationale n'a pas disparu. Dans son discours prononcé mardi lors de l'annonce de la fusion, M. Johnson a déclaré que la Grande-Bretagne s'engageait toujours à consacrer 0,7 % de son revenu national brut (RNB) au développement international, et que c'était la seule chose qui changeait — à savoir qui était chargé de le dépenser. Cependant, l'intention est maintenant de « sauvegarder les intérêts britanniques » et de « saisir les opportunités qui se présentent ».
C'est une demi-vérité. Il s'agit d'un autre écran de fumée pour détourner l'attention de la réalité, vérifiée de manière indépendante et avec des faits avérés : lorsque des départements autres que le DfID dépensent le budget d'aide britannique, les plus pauvres en bénéficient le moins. L'investissement est alors moins efficace, moins transparent et moins responsable.
Dans son discours à la Chambre des Communes mardi, Johnson a déclaré : « le contribuable britannique est en droit de s'attendre à ce que nous ayons atteint le maximum avec chaque livre que nous dépensons ». Dans ce cas précis, il avait tout à fait raison.
Mais le DfID occupe le troisième rang mondial en matière de transparence et de responsabilité relatives à l'aide, selon le Aid Transparency Index , un indice jugé « très bon » et largement respecté par les organisations de justice sociale dans le monde entier. Cependant, le FCO, qui contrôlera désormais la manière dont le budget de l'aide britannique est dépensé, est en 40ème position — la quatrième à partir du bas — des entités ayant alloué plus d'un milliard de dollars à l’aide internationale. Cet organisme a été qualifié de « faible ».
Près de 30 % du budget de l'aide est déjà dépensé par des d’autres structures que le DfID, y compris par le FCO. L'année dernière, le FCO a notamment écoulé 680 millions de livres sterling de ce budget. Le National Audit Office a affirmé que le manque de transparence et de responsabilité des départements gouvernementaux (autres que le DfID) témoigne de l'inefficacité des dépenses d'aide.
Telle est la conclusion tragique d'une série de titres incendiaires qui ont fait la une des journaux pendant toute une génération, et qui ont eu à cœur de voir l'indépendance du DFID s'effriter. Pourtant, un sondage réalisé l'année dernière auprès du public britannique a révélé que 90 % des personnes interrogées pensaient qu'il était important d'aider les habitants des pays en développement. En effet, plus des deux tiers des Britanniques (61 %) pensent que la lutte contre la pauvreté dans les pays en
Ce sentiment semble être partagé par un grand nombre de commentateurs éminents.
Quite the achievement to get three former PM's out - Blair, Brown and Johnson's old rival, David Cameron, all criticising his decision to fold DFID into FCO
— Laura Kuenssberg (@bbclaurak) June 16, 2020
Andrew Mitchell, former Tory international development secretary, describes FCO/ DFID merger as an “extraordinary mistake.”
— Laura Hughes (@Laura_K_Hughes) June 16, 2020
In case you're hunting for expert opinion in favour of the FCO taking over DFID, let me save you some time. The evidence is below. This isn't a policy decision but a political one, made during the biggest humanitarian crisis for 100 years. Ask yourself why. https://t.co/3uhvjq1LrU
— Kirsty McNeill (@kirstyjmcneill) June 16, 2020
« Nous accordons autant d'aide à la Zambie qu'à l'Ukraine, bien ce dernier pays soit vital à la sécurité européenne, a déclaré M. Johnson dans son discours. Nous donnons dix fois plus d'aide à la Tanzanie qu'aux six pays des Balkans occidentaux, qui sont très vulnérables à l'ingérence russe. »
Ne nous faisons pas d'illusions : priver le DfID de son indépendance n'a rien à voir avec la lutte contre la pauvreté, qui, selon M. Johnson, « restera au cœur de notre mission ». Le Guardian rapporte d'ailleurs que l'aide britannique sera « inévitablement » liée à des intérêts commerciaux et sécuritaires.
Aujourd'hui même, alors que nous commémorons l'assassinat de Jo Cox quatre ans après sa mort — cette fonctionnaire inspirée soulignait que nous avions « bien plus de choses en commun que ce qui nous divise » — la suppression du DfID est une véritable tragédie pour la solidarité, la justice sociale et les communautés vulnérables que Mme Cox a défendues toute sa vie.
Nous devrions tous nous montrer critiques face à l'érosion du travail du DfID. Cette situation exige une action immédiate.
Cela implique de préserver la qualité de l'aide dépensée par le FCO afin qu'elle se concentre sur les plus pauvres, en adhérant aux standards d'aide convenus par le Comité d'aide au développement (CAD) de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Nous devons également exiger qu'au moins 50 % de toutes les dépenses d'aide du Royaume-Uni soient destinés aux pays à faible revenu. Faute de quoi, à qui s'adresse cette aide ?
Il est également essentiel que le ministre du développement international conserve un poste au sein du cabinet. Sinon, le dialogue au plus haut niveau sur les questions humanitaires risque fort de disparaître. Passez à l'action en nous rejoignant ici.
Sans le DfID, le leadership de la Grande-Bretagne sur la scène mondiale est sérieusement compromis. Nous avons désormais besoin d'un plan clair indiquant comment la fusion peut être réalisée sans ravager la vie des personnes vivant dans l'extrême pauvreté.