Carlos Arbelaez est un entrepreneur social et un défenseur des droits des réfugiés. Il vit en France depuis qu'il a fui une Colombie déchirée par la guerre en 2011 pour y devenir réfugié.
De sa ville natale de Medellín, où il a servi dans l'armée colombienne, aux rues de Paris, le parcours d'Arbelaez illustre l'effroyable crise des réfugiés.
Il est aujourd'hui le fondateur de Populaire, une association qui forme des réfugiés au métier de barista et utilise du café produit par de petits producteurs colombiens.
Il y avait plus de 300 000 réfugiés en France au 31 décembre 2019, selon les derniers chiffres de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA). À titre de comparaison, il y a 1,1 million de réfugiés en Allemagne et plus de 133 000 réfugiés au Royaume-Uni.
La France est « à la traîne dans l'Union européenne » en matière d'accueil des demandeurs d'asile et des réfugiés, selon un rapport publié par l'ONG française JBS le 13 avril 2021. Elle occupe la dernière place, avec la Hongrie, en termes d'accès aux opportunités d'emploi pour les réfugiés et demandeurs d'asile. En outre, la procédure d'asile peut prendre plusieurs années, selon l'étude.
Malgré ces obstacles, Arbelaez a fini par s'installer dans sa nouvelle vie à Paris. Il revient ici sur son périlleux chemin qui illustre la difficulté d'une crise qui touche des milliers en France – et des millions dans le monde.
Vous pouvez lire ici plus de témoignages de la série « Mon histoire. »
Quand on grandit dans un pays en guerre, on arrive à concilier, malgré tout, une vie quotidienne avec un contexte d'extrême violence. J’allais à l’école, je jouais au basket et j’avais une vie comme la plupart des enfants de Medellín, la ville de « l'éternel printemps, » nichée au cœur d’une vallée de l'ouest de la Colombie.
À 18 ans, j’ai dû rejoindre l’armée colombienne. Je n’avais pas le choix : le service militaire était obligatoire et cela coûtait beaucoup trop cher de payer le droit de ne pas y aller.
Ce sont toujours les enfants des pauvres qui vont à la guerre.
Toutes les atrocités dont j'ai été témoin à l’armée m’ont marqué à jamais. C’est un monde complètement absurde où l'on est obligé de se battre contre un ennemi que l’on ne connaît pas.
Avec le temps, on se rend compte que l’on n’est pas face à des monstres, mais des jeunes comme nous, de notre âge, qui ont été contraints de prendre les armes et qui ignorent, tout autant que nous, l'humain qui se cache derrière le masque de l’ennemi.
Après deux années passées dans les rangs de l’armée, je me suis inscrit à la faculté de droit de l’Université d’Antioquia, à Medellin. C’est là qu'est né mon engagement auprès des victimes du conflit armé.
J’ai rencontré toute une communauté d’étudiants et d’enseignants qui refusaient de voir le pays plongé dans une guerre de plus de 60 ans. C’est un travail dangereux que beaucoup d’entre nous avons payé de notre vie ou de notre exil.
Travaux de désherbage dans notre rucher de Bobigny, France. Je suis avec Nicolas (centre droite), cofondateur d'Espero, et des élèves en Apiculture et gestion des espaces verts
Travaux de désherbage dans notre rucher de Bobigny, France. Je suis avec Nicolas (centre droite), cofondateur d'Espero, et des élèves en Apiculture et gestion des espaces verts
Je suis arrivé à Paris en novembre 2011. Je garde encore, dans mes souvenirs, les premières images de cette nouvelle ville, qui deviendra mon foyer.
En sortant de la Gare de Lyon, le ciel semblait plus bas qu’à Medellín. D'immenses nuages gris couvraient toute sa couleur bleue. Les arbres sans feuilles, bien alignés, laissaient entrevoir des branches taillées de manière géométrique.
Il faisait froid. J'étais en train de vivre mon premier hiver en 25 ans de vie. Ce n’était que le début d’une longue liste d'expériences nouvelles.
Je me suis senti seul et invisible dans une ville que je ne comprenais pas.
Mon premier jour à Paris, j’ai dû choisir entre dépenser le peu d’argent qu'il me restait pour payer une auberge de jeunesse ou dormir à la gare. J’ai décidé de rester au chaud.
Deux semaines plus tard, j'avais dépensé tout l’argent qu'il me restait. En poussant la porte de l'auberge, j'ai pris conscience que j’étais, désormais, un SDF.
Rucher du Centre d'Hébergement d'Urgence Jean Quarré dans le XX arrondissement de Paris. On était avec un groupe de personnes réfugiées qui se forment au métier d'apiculteur. 8 juin 2019
Rucher du Centre d'Hébergement d'Urgence Jean Quarré dans le XX arrondissement de Paris. On était avec un groupe de personnes réfugiées qui se forment au métier d'apiculteur. 8 juin 2019
Je partageais mon quotidien avec Steve, un Nigérien de 17 ans, qui était aussi sans abri depuis un an. Il m’a appris où aller manger gratuitement, où prendre une douche et laver mon linge. Il m’a aussi montré des endroits de Paris où l'on pouvait dormir le soir, des bibliothèques où l'on pouvait se connecter à Internet et se protéger du froid pendant la journée.
On ne parlait pas la même langue, mais on a réussi à créer une complicité qui rendait plus facile la vie dans la rue. Steve avait déposé une demande de prise en charge auprès de l'État français, au titre de la protection de l’enfance, depuis un an. Quant à moi, je venais d’enregistrer une demande d’asile pour obtenir le statut de réfugié.
Dans un restaurant solidaire, j’ai rencontré, un jour, une journaliste qui m’a mise en relation avec ceux qui deviendraient ma deuxième famille.
Véronique, Philippe et leurs enfants m’ont ouvert les portes de leur maison, à Bourg-la-Reine, en banlieue parisienne, et m’ont accueilli comme si j’étais un nouveau membre de la famille. C’est grâce à eux que j’ai pu apprendre rapidement le français, me faire des amis, découvrir la culture populaire française, la musique, les fromages.
J’ai pu aussi reprendre des études de droit à La Sorbonne et faire un Master en Sécurité internationale à l'université de Sciences Po.
Je disais souvent à Véronique que j’étais profondément reconnaissant de tout leur amour et leur soutien. Elle m’a répondu que je devais comprendre que le sentiment était réciproque car ils ont également découvert ma culture, ma langue, mes engagements politiques et la résilience de tous ceux que j’avais laissés en Colombie.
Véronique et sa famille ne m’ont jamais fait sentir redevable. Ils m’ont appris que l’intégration était un processus réciproque où l'on est tous gagnants, si l'on s'intéresse à l’autre.
Autour de moi, je voyais d’autres exilés qui n’avaient pas les mêmes opportunités que moi. Des personnes qui n’avaient pas eu la chance de survoler l'océan et qui faisaient un deuxième naufrage dans les rues de Paris. Ils arrivaient détruits, éreintés et portaient les cicatrices de longues et tumultueuses années de voyage.
J’ai décidé d’agir et de partager les expériences que j'avais vécues pendant mon parcours d'intégration, auprès d'associations comme Singa et d'organisations internationales comme l'Agence des Nations unies pour les réfugiés.
Mon sentiment de révolte et de frustration s’est transformé en une forte envie de devenir acteur du changement.
Construction d'un jardin pédagogique de permaculture à Melun avec l'association Espero. Je suis avec Walid (instructeur) à gauche et des résidents du centre d'accueil pour les demandeurs d'asile. 7 février 2019
Construction d'un jardin pédagogique de permaculture à Melun avec l'association Espero. Je suis avec Walid (instructeur) à gauche et des résidents du centre d'accueil pour les demandeurs d'asile. 7 février 2019
J’ai eu la chance de rencontrer des personnes qui m’ont beaucoup inspiré et m’ont fait comprendre que ma condition de réfugié colombien ne définissait pas mon identité.
Sans que je m’en rende compte, je suis devenu un entrepreneur social. J’ai participé, ces quatre dernières années, à la création de deux projets qui me tiennent à cœur et sur lesquels je m’investis aujourd'hui : Espero et Populaire.
Espero offre des parcours d'insertion professionnelle aux réfugiés et aux demandeurs d’asile autour de l’apiculture, l'agroécologie et la couture upcycling, qui consiste à recycler des textiles usés.
Notre atelier de couture upcycling emploie aujourd'hui 10 personnes réfugiées en contrat d’insertion. Nous les encourageons à mettre en œuvre leur savoir-faire pour devenir autonomes et des acteurs de la société française. Nous avons, en outre, sensibilisé plus de 500 personnes à la question des réfugiés.
En 2019, j’ai fondé Populaire, une marque de café colombien paysan et solidaire, torréfié à Paris. Depuis la France, je souhaite soutenir l'implémentation des accords de paix en Colombie ainsi que les producteurs de café qui trouvent, dans ce produit, un projet de résilience et d’avenir.
C’est ma manière de contribuer, de loin, à la construction de la paix dans mon pays.
Nous sommes en train de lever des fonds pour ouvrir notre atelier de torréfaction et une école pour former les personnes réfugiées au métier de barista.
Après neuf ans d’exil, je crois que le principal défi auquel sont confrontés les réfugiés en France, outre l'apprentissage de la langue et le logement, est l’isolement. C’est la raison pour laquelle il est nécessaire de multiplier les espaces de rencontre entre les différentes communautés.
En fin de compte, le meilleur moyen de ne pas avoir peur de l’autre est d’aller à sa rencontre, surtout dans un contexte où les mots « immigration » et « crise économique » sont instrumentalisés par les politiques.
« Si tu diffères de moi, mon frère, loin de me léser, tu m'enrichis. » — Antoine de Saint-Exupéry