Avec le recul, il semble naturel que Naheed Dosani se soit tourné vers l'activisme.
Né dans une famille de réfugiés venus au Canada dans les années 1970 pour échapper à la guerre et aux persécutions en Ouganda, il a constaté par lui-même les obstacles structurels auxquels sont confrontés les réfugiés et les immigrants, parmi lesquels le racisme et la pauvreté.
En grandissant, il s'est intéressé de près à la façon dont ces inégalités se manifestent dans la société, notamment en matière de santé. Il a alors compris que les réseaux sur lesquels les gens s'appuient pour accéder aux soins étaient d'une valeur inestimable.
« Les injustices sociales que j'ai appréhendées pendant mon enfance sont en grande partie reflétées dans le travail auquel je participe et dont j'ai le privilège de faire partie aujourd'hui, a déclaré à Global Citizen M. Dosani, aujourd'hui médecin en soins palliatifs et militant pour la justice en matière de santé basé à Toronto. Cela m'a mis en position de reconnaître que le bien-être est une question qui va bien au-delà de l'accès à une clinique, à des médecins hospitaliers ou à des soins infirmiers : il repose en fait sur la communauté. »
C'est toutefois une rencontre transformatrice, quelques années plus tard, qui amènera M. Dosani à faire de la justice sanitaire la mission de toute une vie.
Alors en fin de formation médicale dans un refuge de Toronto, il rencontre « Terry », un sans-abri atteint d'un cancer et souffrant de schizophrénie et de dépendance. Ce dernier était plongé dans une douleur extrême après avoir tenté à plusieurs reprises d'obtenir le traitement dont il avait désespérément besoin auprès des services d'urgence de Toronto, qui ne l'ont pas pris au sérieux et l'ont accusé de chercher à se droguer.
Un matin, après avoir travaillé en étroite collaboration avec Terry pour le mettre en confiance et l'aider à gérer sa douleur, M. Dosani est retourné au refuge pour constater que ce dernier avait succombé à une surdose la nuit précédente, probablement après avoir tenté de soulager sa souffrance.
Cette expérience, qui, selon M. Dosani, a « changé sa vie », l'a incité à passer à l'action et à concrétiser sa vision d'un Canada où les soins palliatifs sont à la portée de tous, sans distinction de logement ou de facteurs comme la pauvreté ou la dépendance.
« Depuis, je me suis beaucoup investi dans la création et la mise en place de systèmes de soins palliatifs qui assurent l'équité à tous, en particulier à celles et ceux qui vivent dans l'itinérance. C'est ce qui m'a amené à suivre une formation complémentaire en [soins palliatifs] », se souvient-il.
En 2014, le docteur a créé Palliative Education and Care for the Homeless (PEACH), un programme mobile de proximité qui fournit des soins palliatifs communautaires aux Torontois les plus vulnérables et sans-abri. Le programme fonctionne 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, avec l'aide d'un groupe de travailleurs de la santé dévoués. Ces derniers apportent un soutien essentiel à des personnes privées d'accès à un système de soins de santé ou qui passeraient à travers les mailles du filet d'un système qui ne répond pas à leurs besoins.
L'approche PEACH des soins palliatifs a inspiré de nombreux programmes similaires au Canada, aux États-Unis et en Australie. M. Dosani a également reçu de nombreux honneurs pour sa vision et son dévouement, notamment la Croix du service méritoire pour l'humanitarisme de la gouverneure générale du Canada en 2018, un prix humanitaire de la Société canadienne des médecins de soins palliatifs en mai 2019 et le Prix de leadership pour jeunes chefs de file de l'Association médicale canadienne en 2020.
Au moment de la pandémie de COVID-19, les efforts de M. Dosani se sont étendus aux zones les plus durement touchées de Toronto, y compris la région de Peel, où il occupe actuellement le poste de directeur médical du programme d'isolement et d'aide aux sans-abri consacré à la COVID-19.
Sa compassion pour les personnes marginalisées s'est naturellement orientée vers la sensibilisation à l'impact disproportionné du virus sur les sans-abri, les Canadiens racisés et les travailleurs.
Lorsqu'il n'est pas en première ligne, vous le trouverez souvent en train de défendre sans relâche ces communautés, sensibilisant aux facteurs sociaux qui sous-tendent l'accès aux soins et aux vaccins COVID-19.
« Je pense que la COVID-19 a jeté une véritable lumière sur les inégalités dans notre société, a déclaré M. Dosani. Elle n'a pas seulement mis en lumière les inégalités : elle les a aussi perpétuées. »
Il a ajouté : « [La pandémie] a mis en évidence la nécessité de donner la priorité à la vaccination des travailleurs essentiels. Mais en réalité, si nous ne nous concentrons que sur cela, nous passons à côté de la perspective d'ensemble : réparer les conditions matérielles qui ont conduit les gens à être en mauvaise santé en premier lieu. »
D'après lui, pour aller de l'avant, il faut abandonner les approches cloisonnées et surmonter les obstacles à l'accès aux soins de santé. Cela suppose aussi de garantir des horaires, des salaires et des prestations sociales convenables, des emplois non précaires et le respect des droits des travailleurs. Le fait de se rassembler et d'être là les uns pour les autres en tant que communauté est tout aussi essentiel, a-t-il ajouté. C'est le fondement de son activisme ; le feu qui embrase son cœur et le pousse à se mobiliser chaque jour.
« Je pense que la sensibilisation a été une partie importante de [mon travail], mais [la partie la plus gratifiante est] de constater la résilience des communautés que je sers... Elles sont ma source d'inspiration, car elles ont compris ce qu'est et devrait être le sens de l'espoir », a-t-il affirmé.
Envisageant la portée de cette expérience sur la lutte mondiale pour l'accès aux soins de santé, M. Dosani est tout aussi optimiste et plein d'espoir.
Bien que la pandémie de COVID-19 ait été caractérisée par ce qu'il qualifie de « tsunami de chagrin et de deuil », elle a également encouragé le monde entier à travailler ensemble, des organisations locales aux dirigeants gouvernementaux.
« C'est quelque chose que l'on peut aujourd'hui saluer », a-t-il estimé.
Son conseil pour les générations futures ? Prendre un peu de recul avant de plonger dans l'action et veiller à ce que les communautés que nous souhaitons aider soient en mesure de fournir elles-mêmes les solutions appropriées.
« Souvent, il y a une forte envie d'aller sur le terrain et d'agir, a déclaré M. Dosani. L'action est importante, mais la première étape devrait toujours être l'écoute et l'apprentissage [...]. Nous avons beaucoup à apprendre des communautés que nous aidons. Elles sont fortes, elles sont résilientes et elles sont capables d'agir. »