TORONTO, July 19 (Thomson Reuters Foundation) — Avec des tubes comme « Roughest Neck Around, » qui célèbrent les ouvriers du secteur pétrolier, le rockeur country canadien Corb Lund n'est peut-être pas le candidat idéal pour militer contre l'utilisation des combustibles fossiles.
Pourtant, la star de la musique a endossé un nouveau rôle pour le moins inattendu : il est à la tête des efforts visant à empêcher l'ouverture de nouvelles mines de charbon à ciel ouvert dans les célèbres montagnes Rocheuses de l'Ouest canadien.
La province de l'Alberta, surnommée « le Texas du Canada » par les politologues du fait de son industrie pétrolière et de sa culture politique conservatrice, a été frappée par le blocage du projet d'oléoduc Keystone XL vers les États-Unis, à l'heure où l'administration du président américain Joe Biden accélère sa lutte contre le changement climatique.
Aujourd'hui, la province tente de développer l'exploitation du charbon dans les contreforts des Rocheuses, mais M. Lund a contribué à mobiliser une coalition improbable d'opposants, notamment des éleveurs, des propriétaires fonciers ruraux, des groupes autochtones, des écologistes des villes et certains travailleurs de l'industrie pétrolière.
« Ce n'est pas une problématique pour les gens de droite ou de gauche. Cette problématique semble susciter l'intérêt de tout le spectre politique, y compris conservateur, rural, urbain et Premières Nations, » a déclaré Lund à la Fondation Thomson Reuters. « Il est émouvant de constater, en ces temps de profonde division, que les gens se mettent d'accord sur quelque chose. »
Alors que les menaces liées au changement climatique, des incendies de forêt aux canicules, s'intensifient, les analystes estiment que la formation de coalitions aussi improbables sera déterminante pour obtenir un consensus sur la réduction de l'utilisation des combustibles fossiles et la mise en œuvre de mesures climatiques plus vastes.
M. Lund, éleveur de sixième génération dans le sud de l'Alberta et musicien primé, affirme que l'extraction de charbon dans les Rocheuses sauvages, l'image de carte postale de l'Ouest canadien, n'a aucun sens. « Je suis biaisé parce que je viens de cette région. Mais j'ai beaucoup voyagé dans ma carrière de musicien et je n'ai rien vu d'aussi beau, » a-t-il déclaré. « Cela n'a pas de sens de déchirer nos montagnes et d'empoisonner notre eau pour quelque chose qui est déjà produit dans d'autres endroits. »
M. Lund n'est pas un activiste pour le climat. « Pour moi, il s'agit davantage de [la préservation de] l'eau ou du paysage que du changement climatique, » a-t-il précisé. Néanmoins, « je ne peux pas imaginer que le charbon soit un élément positif pour le climat, » a-t-il admis.
« Il ne s'agit pas d'un groupe d'écologistes hippies. »
Les partisans des nouvelles mines de charbon dans les Rocheuses soutiennent qu'elles permettront de créer des emplois et des recettes fiscales pour le gouvernement et qu'elles peuvent être exploitées de manière durable.
Le charbon de la région serait utilisé pour fabriquer de l'acier, plutôt que pour produire de la chaleur ou de l'électricité, deux utilisations du charbon en voie d'élimination progressive dans le monde.
La production d'acier à partir d'énergies renouvelables est toutefois plus problématique, et les entreprises avancent qu'elles devront peut-être continuer à utiliser le charbon à cette fin pour un certain temps encore.
Toutefois, les critiques affirment que l'exploitation minière à ciel ouvert détruira irrémédiablement la pittoresque région montagneuse. Ils craignent, en outre, que les produits chimiques utilisés dans le processus d'extraction, notamment le sélénium, n'empoisonnent les ressources en eau de la province, toujours plus rares.
Le ministère de l'Énergie de l'Alberta, l'organisme gouvernemental chargé d'approuver les nouveaux permis d'exploitation minière, n'a pas donné suite aux demandes renouvelées de commentaires.
La campagne contre l'exploitation du charbon, qui diffuse des images de ranchers à cheval traversant des rivières au pied des montagnes et des vallées verdoyantes, a contribué à rallier à la cause des habitants de la région qui, normalement, ne s'y intéresseraient peut-être pas.
« Il ne s'agit pas d'un groupe d'écologistes hippies, » a déclaré Bobbi Lambright du Livingstone Landowners Group, une organisation du sud-ouest de l'Alberta opposée à l'exploitation de mines de charbon à ciel ouvert. Lorsque la campagne a commencé, « l'un des plus grands défis que nous avions [était] que la grande majorité des Albertains n'avaient aucune idée de [la gravité de] cette menace, » a-t-elle déclaré à la Fondation Thomson Reuters.
La décision de Lund de participer à la campagne en janvier a changé la donne, a-t-elle dit. « Lorsque M. Corb a pris conscience et a commencé à relayer des faits sur les réseaux sociaux, les gens ont commencé à y prêter attention. »
Changement de réglementation
Le gouvernement de l'Alberta a autorisé l'exploration du charbon dans certaines parties de l'est des Rocheuses en mai 2020, annulant ainsi une interdiction vieille de plusieurs décennies.
Les entreprises charbonnières ont alors commencé à déposer des demandes de baux et à explorer des gisements. Entre juin 2020 et février 2021, 169 nouveaux baux ont été délivrés, couvrant environ 188 000 hectares, a indiqué Katie Morrison, une responsable de la Société pour la nature et les parcs du Canada (SNAP), un groupe de conservation opposé à l'exploitation du charbon.
Ces baux ont suscité une opposition croissante, a-t-elle dit. « Le gouvernement, je pense, a mal jugé les Albertains sur cette question lorsqu'il s'agit de ces endroits vraiment particuliers et de notre eau, » a indiqué Mme Morrison à la Fondation Thomson Reuters. « Je n'ai jamais vu un tel mouvement autour d'une affaire en Alberta auparavant, » a-t-elle ajouté. « J'ai l'impression que le vent tourne un peu. »
À la suite d'un tollé général, le gouvernement albertain a entamé des consultations publiques en mars 2021, puis a suspendu l'exploration de certaines terres alors que les commentaires continuaient d'affluer.
Quelques entreprises ont encore des permis d'exploitation minière mais ne procèdent pas activement à l'exploration tant que les consultations sont en cours, a déclaré Morrison.
L'engagement de M. Lund a permis à des personnes qui se soucie de l'exploitation minière du charbon mais qui ne se sentaient pas à l'aise pour s'exprimer en public de prendre position plus facilement, a-t-elle poursuivi, notant qu'elle a « vraiment constaté un changement » après qu'il se soit engagé.
Sur la page Facebook de Lund, sur laquelle il publie fréquemment des articles et des informations sur la lutte contre l'exploitation minière, de nombreux fans ont soutenu son activisme. « Merci de prendre le temps de nous sensibiliser et de vous battre pour une région aussi belle et étonnante, » a écrit Shannon Lee Booth. D'autres ont tagué leurs représentants élus, les exhortant à passer à l'action.
Toutefois, certains ont été plus critiques.
« Bien que j'aime et j'apprécie votre musique, je ne suis pas d'accord avec vous sur ce point, » a écrit Jason Thornhill, un fan. « De nombreuses familles comptent sur ces mines pour les aider à survivre. »
En réponse à l'opposition du public, les responsables albertains ont créé un comité de politique du charbon chargé de formuler des recommandations au gouvernement sur l'utilisation du charbon de la province. Le rapport final est attendu en novembre.
« La protection de nos terres et de nos eaux demeure d'une importance capitale à l'heure où nous exploitons nos ressources naturelles, » ont expliqué les ministères de l'énergie et de l'environnement de la province dans une déclaration le mois dernier, alors qu'ils abandonnaient un projet d'exploitation du charbon.
M. Lund a qualifié l'abandon du projet d'extraction de charbon de Grassy Mountain de « victoire majeure » pour le mouvement, tout en soulignant que la campagne est loin d'être terminée.
Dans sa décision, le gouvernement a évoqué les préoccupations des organismes de réglementation en matière de protection de la qualité de l'eau et de l'habitat des poissons. « Tous les projets de charbon proposés font l'objet d'un examen rigoureux afin de garantir que le développement soit sûr, respectueux de l'environnement et réponde à toutes les conditions requises, » indique le communiqué.
(Reportage de Chris Arsenault ; édition de Laurie Goering. Veuillez créditer la Fondation Thomson Reuters, la branche caritative de Thomson Reuters. Rendez-vous sur : http://news.trust.org/climate)