Les MGF au Canada : comment mettre fin à cette forme cachée de violence envers les femmes

Auteur:
Jackie Marchildon

Illustration by Annelise Capossela for Global Citizen

Lorsque Tasneem avait six ou sept ans (selon son souvenir), elle fut amenée chez une femme qu’elle ne connaissait pas en compagnie de trois autres fillettes de son âge.

Les petites étaient assises, attendant de passer à tour de rôle dans une autre pièce pour subir une mutilation génitale féminine (MGF).

« Je me souviens que chacune d’entre nous devait passer dans la pièce et nous étions effrayées, a raconté Tasneem à Global Citizen. Je ne me souviens pas des détails de l’opération, peut-être que mon cerveau a évacué tout cela, mais je me souviens d’être allée chez cette dame avec mes amies et que la mutilation a eu lieu. »

Tasneem est aujourd’hui une femme de 55 ans membre de la communauté progressiste Dawoodi Bohra et membre de l’Association of Progressive Dawoodi Bohra of Ontario (APDBO). Elle a accepté de se confier à Global Citizen, en compagnie de Zainub, une autre membre de la communauté et de sa propre nièce Khadija, à la condition que leur anonymat soit respecté. Leurs noms ont donc été changés.

Tasneem et Zainub ont subi cette mutilation génitale féminine dans leur pays d’origine, avant de venir vivre au Canada. Elles veulent maintenant que les MGF cessent.

« Je me souviens très bien », raconte Zainub, brisant le silence qui s’était installé après le témoignage de Tasneem.

Zainub a aujourd’hui 58 ans. Originaire du Kenya, elle a subi une MGF à peu près au même âge que Tasneem, avant qu’elles arrivent au Canada, toutes deux vers l’âge de neuf ans.

« On ne m’a certainement pas dit qu’on m’amenait à une fête, ricane-t-elle. Ce jour-là je ne suis pas allée à l’école et j’étais seule. »

Elle fait alors une pause.

« Je me souviens du rasoir », poursuit-elle.

De nombreuses années se sont écoulées avant que les deux femmes puissent confier leur secret à d’autres personnes.

« Je me souviens que j’étais assise… sur un petit banc haut d’à peine deux pouces ; je n’avais pas de pantalons… il y avait ma mère et peut-être deux autres femmes, l’une d’elles étant une guérisseuse… Je me souviens simplement du rasoir et de la douleur. Ça faisait mal. »

Elle s’est ensuite assise devant un poêle à charbon et on lui a dit d’attendre à la chaleur que la douleur s’apaise.

« Alors, ma mère m’a dit : “N’en parle à personne”, et c’est tout. »

On s’en doute, Tasneem et Zainub ne sont pas les seules à avoir vécu cette expérience.

Plus de 200 millions de femmes et de filles dans le monde ont subi des MGF.

Pour de nombreux Canadiens, les MGF sont une réalité étrangère inconnue ou que l’on ignore, croyant que ces pratiques n’ont pas cours dans notre pays.

Les MGF sont exactement ce que le terme décrit : une mutilation du sexe des petites filles que l’on pratique dès la petite enfance et jusqu’à l’âge de 15 ans.

Il y a quatre types de MGF. Le premier est la clitoridectomie, soit l’ablation du clitoris. Le deuxième type est l’excision, soit l’ablation du clitoris et des lèvres vaginales. Le troisième est l’infibulation, qui consiste à rendre plus étroite l’entrée du vagin.

Le quatrième type englobe toutes les autres mutilations, comme la ponction, le percement, l’incision, la scarification et la cautérisation ou les mutilations des organes sexuels par l’acide.

Les MGF ne constituent pas une pratique religieuse.

Mais c’est certainement une pratique qui affecte les femmes et les filles tant au Canada qu’ailleurs dans le monde.

Des fillettes canadiennes sont envoyées à l’extérieur du pays où on procédera à une MGF et les immigrantes concernées par ces pratiques ne reçoivent aucun soutien pour composer avec les séquelles, qui peuvent se manifester parfois des années après la mutilation.

Image: Michelle Siu pour Global Citizen

MGF : la situation au Canada

Les MGF ont fait les manchettes au Canada à l’été 2017 lors de la publication d’une étude menée en 2016 par Sahiyo, une organisation qui se bat contre les MGF. L’étude révélait que certaines femmes ont subi des MGF ici même au Canada.

L’étude a porté sur 385 femmes de partout dans le monde (principalement de la communauté Dawoodi Bohra) et a révélé que 18 d’entre elles (5 %) avaient subi des MGF et vivaient au Canada, et deux d’entre elles avaient subi la mutilation au Canada même.

Les mutilations génitales féminines ont été ajoutées au Code criminel canadien en 1997, à l’article 268, Voies de fait graves. Toute personne qui commet ou participe à des MGF peut être accusée (par exemple des parents qui y participent ou les planifient). Il est également illégal d’envoyer une enfant à l’extérieur du pays pour subir une MGF en prétextant des vacances.

Le Code criminel stipule que toute personne qui commet ou participe à des voies de fait graves est passible d’une peine d’emprisonnement de 14 ans.

Cela dit, aucune poursuite pour MGF n’a jamais été engagée au Canada à ce jour.

Le Canada a toutefois mené d’autres actions pour lutter contre le phénomène des MGF.

En juillet 2017, le Canada a annoncé un investissement de 650 millions de dollars pour les droits et la santé sexuelle et reproductive des femmes, notamment en finançant des initiatives pour contrer la violence sexuelle et la violence fondée sur le sexe, comme c’est le cas des MGF.

La Stratégie du Canada pour prévenir et contrer la violence fondée sur le sexe s’attaque à la violence envers les femmes et le gouvernement fournit de l’aide aux organisations communautaires qui combattent la violence fondée sur le sexe comme les MGF.

Plus particulièrement, le gouvernement a donné 350 000 $ à la Table de concertation pour les organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes, une organisation qui fait de la sensibilisation sur les MGF et soutient les survivantes.

À part ce soutien, très peu d’aide est offerte à des initiatives visant spécifiquement à contrer les MGF et aucune recherche concrète n’est faite pour évaluer le nombre de cas de MGF qui se produisent au Canada.

La réponse du gouvernement

En réponse à l’étude de l’organisme Sahiyo, le gouvernement canadien a annoncé qu’il s’attaquerait aux MGF, selon une enquête du Toronto Star.

En juillet 2017, un rapport de l’Agence des services frontaliers du Canada a fait l’objet d’une fuite voulant qu’il était « à peu près certain que des personnes entraient au Canada pour y pratiquer des MGF » selon un article de Global News.

Ces divers rapports montrent bien que les MGF constituaient un phénomène sérieux et de plus en plus fréquent au Canada.

À la même époque, la Presse canadienne a obtenu une copie de travail du nouveau guide de citoyenneté du Canada dans laquelle avait été enlevée la mention affirmant que les MGF constituent un acte criminel. En novembre 2017, cette modification avait donné lieu à un débat entre la critique conservatrice en matière d’immigration, Michelle Rempel, et le premier ministre Justin Trudeau.

Par la suite, en janvier 2018, le gouvernement fédéral a réitéré que le guide de citoyenneté comprendrait un avertissement affirmant l’illégalité des MGF, confirmant ainsi qu’il s’agissait d’un enjeu au Canada.

« Nous avons très peu de recours judiciaires, car il s’agit de pratiques qui se font dans le plus grand secret, et l’une des principales façons de les combattre est de faire de la sensibilisation, a souligné Mme Rempel à Global Citizen. Un des principaux effets dissuasifs consiste à faire comprendre aux femmes que cette pratique n’offre aucun avantage sur le plan de la santé et qu’elle n’est donc pas tolérée… Et pour moi, le guide de citoyenneté constitue une excellente occasion de faire cette sensibilisation au Canada. »

Le bureau du ministre de la Santé a décliné la demande d’entrevue de Global Citizen sur le phénomène des MGF au Canada, indiquant seulement que les MGF constituaient un crime et n’avaient rien à voir avec la santé.

Global Citizen s’est alors tourné vers le ministre de la Justice, qui a également refusé d’accorder une entrevue et nous a dirigé vers la ministre de la Condition féminine.

Le bureau du premier ministre a également décliné une demande d’entrevue.

En décembre, Célia Canon, secrétaire de presse de la ministre de la Condition féminine a indiqué au nom de la ministre que la décision « définitive » relativement au guide n’avait pas encore été prise.

Ce récent débat sur le guide de citoyenneté montre des failles importantes dans l’approche du Canada en matière de MGF, notamment l’hésitation à aborder cette question. 

Loin de la vue, loin de l’esprit

« Si nous ne pouvons même pas affirmer qu’il s’agit de pratiques inacceptables comment pouvons-nous aider les femmes qui les ont subies », affirme Mme Rempel, critiquant le silence qui entoure cette question au Canada et dans le monde.

Selon elle, l’approche du Canada en matière de MGF doit être holistique, comme c’est le cas des autres enjeux qui touchent les femmes. Il faut donc, certes, s’occuper des coupables, mais aussi des victimes et des victimes potentielles. Même si on poursuit et met en prison ceux qui pratiquent ces mutilations, dit-elle, il reste qu’il y a un nombre incalculable de victimes.

« Nous n’avons pas réussi à empêcher cette pratique et maintenant nous n’avons aucun moyen de soutenir les survivantes », souligne Mme Rempel.

Ce qui ressort de tout cela, que ce soit dans une perspective militante ou politique, c’est qu’il faut parler de ces pratiques et faire de la sensibilisation.

« Comment pouvons-nous régler cette problématique si nous refusons même de parler de ce qui se passe chez nous ? » poursuit Mme Rempel.

Elle suggère d’élaborer un plan d’action sur cette question dans le cadre de la Stratégie du Canada pour prévenir et contrer la violence fondée sur le sexe, et de mettre l’emphase sur cet enjeu en mettant en œuvre un plan pour sensibiliser les gens et rejoindre les communautés, y compris par une meilleure formation des agents responsables de l’application des lois, et une meilleure formation sur les moyens d’aider ceux et celles qui dénoncent des cas de MGF.

Pour Mme Rempel, il faut trouver des façons pour que le système canadien de santé soutienne les survivantes.

Image: Michelle Siu pour Global Citizen

« La criminalisation est importante, mais n’est pas tout »

« La criminalisation joue un rôle, certes, mais il en faut plus pour que l’on réussisse à éliminer complètement les MGF », dit Sally Ogoe, une universitaire de 28 ans spécialisée sur les MGF qui a grandi au Ghana et qui a déménagé au Canada à l’âge de 25 ans pour terminer sa maîtrise.

Alors qu’elle était en classe un jour, Mme Ogoe a été surprise d’apprendre qu’on pratiquait les MGF au Canada. Elle savait bien sûr que cette pratique existait dans son pays natal, puisqu’on discutait de cette pratique culturelle à l’école, même si elle n’avait jamais connu quelqu’un qui en avait été victime. À l’école, les enseignantes en parlaient comme d’une pratique qu’il fallait abolir et d’un enjeu social qui maintenait le pays dans le passé.

Lorsqu’elle a appris que cette pratique avait cours au Canada, Mme Ogoe en a fait le sujet de sa thèse et a rédigé un article expliquant pourquoi la criminalisation des MGF n’avait pas réussi à éliminer cette pratique, opinion partagée par plusieurs autres personnes qui se spécialisent dans les MGF.

« Je pense qu’il faudra plus que la criminalisation, car les immigrants qui viennent ici ont leurs propres pratiques culturelles qui sont au cœur de leur identité, et certaines personnes peuvent avoir des MGF une opinion fort différente de celles qui en ont été les victimes », poursuit Mme Ogoe.

La réalité des MGF au Canada a été révélée dans un courriel que Mme Elaine Cukeric, de l’Unité consulaire pour des enfants vulnérables du gouvernement fédéral, faisait parvenir en juin 2015 à un agent consulaire canadien à Nairobi, au Kenya, selon le Toronto Star.

« Selon une information parcellaire que nous avons obtenue, quelques milliers de jeunes Canadiennes sont potentiellement à risque et certaines d’entre elles seraient envoyées à l’étranger pour subir les MGF », écrivait Mme Cukeric.

L’unité où travaille Mme Cukeric s’est intéressée à l’Afrique, au Moyen-Orient, à l’Inde et au Pakistan où les MGF sont chose courante.

Bien que difficiles à confirmer au Canada, des cas existent.

En fait, dans les années 1970, une amie de Tasneem s’est rendue au Royaume-Uni en compagnie de sa fille afin que la fillette subisse une MGF. Il n’y avait à l’époque aucune loi interdisant ces mutilations et cet événement montre bien que ces pratiques culturelles existent depuis longtemps, qu’elles sont faites en secret et touchent des gens vivant au Canada. Bien qu’elle ait décliné la demande d’entrevue de Global Citizen, cela confirme que le prétexte des vacances camoufle des MGF.

« La criminalisation est importante, mais n’est pas tout », affirme Mme Ogoe. 

Si des femmes peuvent ressentir une pression pour s’adonner à ce rituel, que ce soit parce que les MGF sont une pratique culturelle qui est un rite de passage pour les jeunes filles ou parce qu’elle est obligatoire pour se marier, toutes les femmes n’y participent pas ni ne perpétuent de telles pratiques.

La criminalisation est un outil — une bonne raison de ne pas s’y adonner — pour les femmes qui ne souhaitent pas perpétuer cette pratique avec leurs filles. La loi vient les appuyer et les informer de leurs droits en tant que résidents du Canada, explique Mme Ogoe.

Mais la criminalisation peut aussi nuire à nos efforts pour éliminer les MGF. Les jeunes filles et les femmes peuvent en effet craindre de faire du mal à des parents en étant obligées de témoigner en cour contre ceux-ci.

« Personne ne veut obliger un enfant à témoigner en cour… ce qui aura pour conséquence de briser des familles, explique la cofondatrice de Sahiyo Shaheeda Tavawalla-Kirtane. Une personne ira en prison, et une autre devra témoigner… »

Dès lors, bien sûr, de nombreux cas ne sont pas rapportés et les responsables ne sont donc pas embêtés.

Cette question a également été abordée dans le communiqué du bureau de la ministre de la Condition féminine.

La secrétaire de presse de la ministre, Célia Canon, a expliqué que la question des MGF est complexe, indiquant que les personnes susceptibles d’être touchées par ce phénomène proviennent de divers horizons et peuvent dès lors être marginalisées en tant qu’immigrantes ou en raison de la pauvreté.

Elle a expliqué que les victimes et les filles et femmes potentiellement à risque peuvent hésiter à demander de l’aide.

Cependant, la criminalisation peut avoir un effet dissuasif.

« Je crois que la crainte d’être découvert peut avoir un effet bénéfique et faire en sorte que l’on ne pense même pas à se livrer à des MGF, affirme Zainub. L’Australie constitue un bon exemple et je pense que cela dissuadera un grand nombre de personnes dans tous les pays… car on est maintenant conscient du problème, et ce, même dans les communautés concernées. »

L’exemple auquel Zainub réfère est le premier procès et première condamnation pour mutilation génitale féminine en Australie après que deux fillettes de la communauté musulmane Dawoodi Bohra Shia aient été excisées. La mère des fillettes, une exciseuse et un chef religieux de la communauté ont été condamnés à une peine de 15 mois d’emprisonnement.

Si la criminalisation peut agir comme élément dissuasif, Zainub estime que ce n’est pas la meilleure façon d’éliminer les MGF.

« Dans mon cas, par exemple, il n’y avait rien de nocif dans mon environnement familial, explique-t-elle. Il aurait été complètement injuste que ma mère soit appréhendée et envoyée en prison… Elle est une mère merveilleuse et n’a réellement rien fait de mal. »

La mère de Zainub, comme bien d’autres mères, a simplement fait ce qu’elle croyait normal. Les MGF sont le plus souvent faites par des femmes de la communauté qui font simplement ce qu’elles estiment qu’elles doivent faire.

« C’est une autre génération, dit Tasneem. Ils ont fait ce qu’on leur a dit de faire. Ils ne connaissaient pas mieux. »

Zainub, Tavawalla-Kirtane et Tasneem ont toutes souligné l’importance de l’éducation et de la sensibilisation pour mettre fin à cette pratique.

« Honnêtement, je ne sais pas pour quelles raisons cette pratique existe, mentionne Zainub. C’est une forme de contrôle et une façon de perpétuer certains rituels… ce sont des communautés fermées qui tiennent à leurs secrets… c’est cela, une forme de contrôle. »

Travailler avec la communauté

Image: Michelle Siu pour Global Citizen

Éviter d’en parler est un enjeu réel et important, et pas seulement au Canada.

Avant de discuter des MGF dans le cadre du présent article, Tasneem et Zainub n’avaient jamais abordé la question ensemble.

« On ne parle pas d’un tel sujet ouvertement, dit Zainub. En fait, certaines de mes amies n’en ont parlé que l’année dernière et elles m’ont dit que c’était la première fois. »

Mais Tasneem souligne qu’aujourd’hui on en discute plus ouvertement au sein de la communauté et elle en a même parlé aux hommes de sa famille.

« J’en ai discuté avec mon mari, dit-elle, et il m’a avoué qu’il ne savait même pas qu’une telle chose existait. En fait, je ne lui en avais jamais parlé! »

Tasneem explique qu’à mesure que les femmes de sa communauté deviennent plus progressistes, elles parlent de plus en plus des MGF.

« Nous pouvons maintenant en parler et dire que c’est une pratique inacceptable qu’il faut éliminer », poursuit-elle.

Ces discussions ne font pas qu’ouvrir le dialogue. Elles contribuent à mettre fin à la pratique.

Aujourd’hui âgée de 25 ans, la nièce de Tasneem, Khadija, est née au Canada. Elle aussi est membre de l’APDBO et, contrairement à sa tante, elle n’a pas subi de MGF parce que sa mère a décidé de mettre fin à cette pratique.

« Il faut toutefois comprendre que dans notre culture, lorsque les aînés disent quelque chose, les plus jeunes écoutent et s’y conforment », explique Tasneem.

« Si ma mère avait dit à ma sœur qu’elle devait faire exciser ses filles, je ne pense pas que ma sœur aurait pu s’y opposer », poursuit Tasneem.

Mais lorsque sa mère a compris que les MGF n’étaient pas imposées par l’islam, elle a complètement rejeté cette pratique, selon Tasneem.

Voilà pourquoi Khadija n’a jamais subi de MGF au Canada ou à l’étranger.

Ce fut également le cas de Tavawalla-Kirtane, dont la mère est devenue une militante active contre les MGF.

« Ma mère a convaincu des membres de sa famille de ne pas procéder à des MGF… Elle a été un instrument de changement », souligne Tavawalla-Kirtane.

Tavawalla-Kirtane travaille au sein de Sahiyo pour informer les communautés sur les MGF. Elle parle abondamment des conséquences néfastes de ces pratiques et tente de convaincre les gens de les abandonner.

L’organisation travaille avec toute personne qui peut être directement ou indirectement engagée dans de telles pratiques, que ce soit celles qui pratiquent les mutilations, les mères, les grand-mères, les tantes et les hommes en leur expliquant qu’il n’y a aucun bienfait pour la santé et dans le but de contrer la pression sociale que certains membres de la communauté peuvent ressentir.

« C’est un peu ironique, dit Tavawalla-Kirtane. Il s’agit de pratiques patriarcales essentiellement soutenues… par les femmes de la famille. »

C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il est si important d’y mettre fin.

Les mères de Zainub et Tasneem affirment toutes deux qu’elles n’auraient pas permis que leurs filles subissent des MGF si elles avaient été mieux informées.

Khadija et Tavawalla-Kirtane constituent de parfaits exemples que le fait de sensibiliser les jeunes générations a un réel effet dissuasif. Leurs mères ont décidé de mettre fin à cette pratique.

Cela dit, il est important de redire que la pratique existe toujours dans diverses régions du monde et que, pour certaines personnes, il s’agit d’un rituel non négociable.

Parce qu’elles ont critiqué les leaders de leurs communautés, les familles de Zainub et Tasneem sont d’ailleurs rejetées par les communautés Dawoodi Bohra traditionnelles dans leur pays natals d'Ouganda et de Kenya.

« Le courant traditionaliste tente de contrôler et contrôle encore les gens et les affaires de la communauté », souligne Tasneem.

À Kampala, en Ouganda, comme au Canada, certains, comme les parents de Tasneem, ont décidé de rejeter le courant traditionaliste. Lorsque la famille de Tasneem est venue au Canada, elle a été demandée de joindre le courant traditionaliste, mais ses croyances et ses valeurs progressistes l’a amené à rejeter cette option.

Aujourd’hui, grâce à l’immigration, le courant progressiste au Canada devient de plus en plus important. Si l’association a été fondée en 1985, la communauté se retrouvait bien avant dans les événements et des occasions spéciales.

Mais il reste que de nombreux membres de la communauté subissent toujours des pressions pour se conformer aux directives des leaders de la communauté et cela peut comprendre les MGF.

« Je pense que le principal problème demeure le contrôle qu’exercent les leaders sur la communauté, explique Zainub. Encore aujourd’hui, on voit cet outil d'excommunication, même dans ce pays, dit Zainub. On menace encore les gens de les expulser de la communauté. On leur dit quoi faire, quels vêtements porter… sachant fort bien que les gens ont peur. »

Zainub dit que ses amis qui respectent la tradition se rallieront aux leaders de peur d’être à leur tour exclus et de voir leur famille éclater.

Promouvoir la citoyenneté

Zainub, Tasneem, Tavawalla-Kirtane et Ogoe ont toutes affirmé que le fait de promouvoir et mettre en lumière la citoyenneté canadienne contribue à prévenir les MGF.

Le Dr Gillian Einstein, membre du corps professoral du département de psychologie à l’Université de Toronto, a étudié le cas de 14 Somaliennes qui ont été excisées et qui ont toutes affirmé que leur désir d’être citoyennes canadiennes les a convaincues de mettre fin à cette pratique dans leur famille.

Pour décrire les MGF elle parle de « coupure des organes génitaux féminins » afin d’éviter d’utiliser le mot mutilation. Sa recherche touchait uniquement les effets neurologiques de la pratique et n’a pas étudié cette dernière du point de vue culturel, mais comme elle a été en contact étroit avec ces femmes, celles-ci se sont confiées à elle.

Lorsqu’elles adoptent la culture canadienne et s’identifient comme Canadiennes, elles sont moins portées à perpétuer la pratique des MGF, a découvert le Dr Einstein.

« Elles comprennent que, dans notre culture, elles ne sont pas obligées de subir des MGF », dit-elle.

Sur cette question, le Dr Einstein souligne que le fait de mentionner la question des MGF dans le guide de citoyenneté est probablement fort utile pour sensibiliser les nouveaux arrivants.

Image: Michelle Siu pour Global Citizen

Mettre fin aux MGF en utilisant une « approche canadienne »

De toute évidence, la question des MGF au Canada est complexe. Nous manquons de données et d’analyses, et il faudrait aussi plus de sensibilisation.

« Ce n’est pas simple, explique Tavawalla-Kirtane. Que doit-on faire ? Doit-on surveiller toutes les communautés qui s’adonnent à ces pratiques, examiner chaque fillette pour voir si elle a subi une MGF ? Le gouvernement a-t-il le droit d’interroger les enfants et leurs parents ? »

Et il n’y a pas que la criminalisation et les questions de citoyenneté. Nous devons améliorer notre soutien aux survivantes et à leurs familles, tout comme nos programmes d’éducation sur tous les aspects des MGF.

Des professionnels doivent être formés pour intervenir lorsque des cas sont rapportés, les enseignants doivent être entraînés à repérer les fillettes potentiellement à risque et celles qui ont subi une mutilation et les professionnels de la santé doivent être formés pour offrir des soins appropriés à celles qui ont subi de telles mutilations.

Pour l’instant, le fait de mentionner dans le guide de citoyenneté du Canada que les MGF constituent un crime est un pas dans la bonne direction. Il faudra ensuite encourager les leaders mondiaux à adopter et à soutenir la mise en œuvre de lois protégeant les filles et criminalisant les MGF. Faites votre part dès maintenant. Vous pouvez agir ici.