Quand Barbie Izquierdo était plus jeune, elle se souvient que, si elle voulait manger un petit-déjeuner, elle devait se rendre très tôt le matin à la cantine de son école dans le nord de Philadelphie. Elle était intolérante au lactose et ne pouvait pas boire le lait qu’on lui donnait. Elle mangeait donc les céréales, gratuites, sans lait.
Barbie bénéficiait du programme de déjeuner gratuit, et souvent, elle était trop gênée de manger son repas de midi aux côtés de camarades de classe qui apportaient leurs propres repas préparés chez eux. Mais la faim la poussait à se tourner vers certains plats récurrents à l'heure du déjeuner : un cheesesteak pané et un hot-dog avec des haricots rouges.
Le dîner, quant à lui, se mangeait souvent chez un voisin.
« Comme j’ai grandi dans une famille espagnole, nous mangions beaucoup de riz et de haricots », a-t-elle déclaré. « Si nous avions du riz et que nos voisins avaient des haricots, nous dînions ensemble. »
Dès son plus jeune âge, Barbie a observé la façon dont les communautés sont solidaires, créant des liens d’entraide et protégeant les personnes des difficultés liées à la pauvreté. Lorsque les coupons alimentaires, sur lesquelles sa mère comptait, venaient à manquer avant la fin du mois, ce sont ses voisins qui la nourrissaient.
Aujourd’hui, elle s’appuie sur ces expériences pour mettre fin à la crise alimentaire et de la pauvreté en général, tout en luttant contre les stigmates qui accompagnent ces injustices et empêchent les personnes de défendre leurs droits.
C’est pour son parcours durant 14 ans, par son vécu et par son travail de plaidoyer, ainsi que son rôle de responsable de l’autonomisation communautaire chez Hunger Free America, que Barbie a remporté le Global Citizen Prize : Citizen Award États-Unis 2022, qui lui offrira un appui d’un an.
Le Global Citizen Prize 2022 récompense les personnes qui œuvrent pour défendre la planète, vaincre la pauvreté et exiger l’équité, en se focalisant sur le changement climatique, l’autonomisation des adolescentes et l’élimination des barrières systémiques qui maintiennent les populations dans la pauvreté. Vous pouvez découvrir les lauréats de cette année ici.
« J’espère que les gens pourront se reconnaître en me voyant. », a-t-elle déclaré. « Ce parcours n’a pas été facile, c’est très éprouvant mentalement et émotionnellement. Mais si vous n'abandonnez pas, que vous trouvez quelque chose en quoi vous croyez vraiment et que vous vous battez pour cette cause, vous vous sentirez épanouis et en mesure d’aider les autres. »
« Restez fidèle à vous-même et aimez-vous », a-t-elle ajouté. « Il y a déjà assez de choses dans la vie qui peuvent vous décourager et vous maintenir dans une approche négative. J’aimerais pouvoir encourager plus de personnes à se sentir libérées et à partager leurs histoires. »
Joindre les deux bouts
Les conditions de survie qui ont défini l’enfance de Barbie l’ont suivie jusqu’à l’âge adulte. Après avoir fui des situations de violence domestique, elle s’est retrouvée à élever deux jeunes enfants dans un immeuble sans chauffage, comptant sur des coupons alimentaires épuisés qui étaient toujours épuisés à la fin du mois.
Lorsque son fils de 3 mois a contracté une irritation de l’œil nécessitant un drainage chirurgical, elle s’est rendue à l’hôpital local, où une infirmière lui a demandé si elle voulait répondre à un sondage décrivant ses difficultés.
« Elle m’a posé des questions comme par exemple, est-ce que j’ai l’eau courante, un four et un réfrigérateur fonctionnels ? », dit Barbie.
« Je lui ai parlé de ma relation abusive, du fait d’être en refuge, j’ai évoqué les ordonnances de non-communication, la façon dont j’ai essayé de trouver un emploi mais en vain », a-t-elle déclaré.
Plus tard, elle a reçu une lettre l’invitant à un cours de yoga où elle a rencontré une femme nommée Dre Mariana Chilton, qui voulait en savoir plus sur son histoire. Barbie craignait que ce rendez-vous ne soit utilisé par l’État pour lui enlever ses enfants, mais elle a vite appris que Chilton était une experte en santé publique spécialisée dans la pauvreté, la nutrition et la santé maternelle et infantile à l’Université Drexel aux États-Unis.
En 2008, Chilton a invité Barbie à faire partie d’un nouveau groupe à Drexel appelé Witnesses to Hunger (Témoins de la faim), dans le but d’influencer les discussions politiques à Washington avec des témoignages de personnes vivant dans la pauvreté.
« Trop souvent, les politiques et les programmes sont créés sans la participation des personnes les plus touchées », indique Witnesses to Hunger dans un communiqué publié sur leur site internet. « Les véritables expertes en termes de santé maternelle et infantile et de la pauvreté sont les mères de jeunes enfants. Ces mamans se concentrent sur leurs enfants, sur leurs quartiers, sur leurs tâches quotidiennes au travail et sur l’aide sociale. Ce sont des professeures qui ont des enseignements précieux à transmettre. »
« Chacun de nous est invité à regarder et à écouter ses conseils. »
Barbie a reçu une caméra pour documenter sa vie et a participé à des réunions mensuelles avec d’autres mères confrontées à des problèmes similaires : violence domestique, absence de domicile, incapacité à payer les factures, besoin d’assistance urgent, etc.
Une équipe de tournage s’est jointe aux réunions et s’est intéressée à l’histoire de Barbie. Ils ont commencé à la suivre, filmant sa vie quotidienne pour un futur documentaire.
« Ils m’ont suivie pendant deux ans », a-t-elle dit. « Que ce soit lors d’une conférence que je donnais à l’autre bout du pays, un jour normal, ou moi en train de donner un bain à mes enfants, ils étaient là et filmaient tout simplement mon quotidien. »
« Il y a eu deux ans de tournage, deux ans de montage et un an de commercialisation du film », a-t-elle déclaré. « Je n’ai pas eu le droit de voir un seul extrait à l’avance et rien qu’imaginer comment je serais représentée comme une mère m’a fait tomber dans une profonde dépression. Est-ce qu’on m’enlèvera mes enfants parce que le film montre que je ne pouvais pas les nourrir ? »
Le film, intitulé A Place At the Table, a promu Barbie en tant que porte-parole de la réalité du quotidien, et de la question de la faim.
« Je prends la parole devant des entités gouvernementales, des écoles et des organisations à but non lucratif, et je leur apprends à faire participer les gens dans les communautés pour les aider à mieux cerner leurs difficultés, et à identifier comment nous pouvons autonomiser ces personnes. »
« Beaucoup de ces organisations pensent simplement qu’elles savent déjà ce qui est le mieux pour les pauvres », a-t-elle ajouté. « Mais ces personnes ne sont jamais passées par là, alors elles ne savent pas comment trouver des solutions. »
Un avenir sans faim
Selon Feeding America, il y a plus de 38 millions de personnes qui souffrent régulièrement de la faim aux États-Unis, dont 12 millions d’enfants.
Une grande majorité de ces personnes, comme Barbie, dépendent à la fois de l’aide gouvernementale, la charité et le soutien communautaire pour joindre les deux bouts.
Le système de protection sociale américain, cependant, présente de nombreux obstacles, ce qui rend difficile l’accès à une aide adéquate pour les personnes vivant dans la pauvreté. Des mesures arbitraires sont souvent utilisées pour déterminer qui a le droit ou non de recevoir de l’aide. Pour ne rien arranger, la stigmatisation qui entoure l’utilisation de coupons alimentaires, officiellement connus sous le nom de prestations du Programme d’aide nutritionnelle supplémentaire (SNAP), fait que les personnes éligibles à ces aides ne les demandent pas.
Barbie a connu ces problèmes et plaide en faveur de nouvelles conditions d'aide sociale pour s’assurer que les personnes obtiennent l’aide dont elles ont besoin.
Elle plaide notamment en faveur de l’expansion du Programme spécial de nutrition supplémentaire pour les femmes, les nourrissons et les enfants (WIC) afin de s’assurer que les familles reçoivent suffisamment de soutien financier pour nourrir leurs enfants tout au long de l’année, tout en rendant le programme accessible à un plus grand nombre de personnes qui ne cochent pas toutes les cases.
« Tout va bien pendant les deux premières semaines après avoir reçu les coupons alimentaires », a-t-elle déclaré. « Vous êtes optimiste, votre réfrigérateur est plein, mais deux semaines plus tard, vous vous dites : 'Qu’est-ce que je vais faire maintenant ? Comment vais-je m’en sortir ?' Et à la troisième semaine, vous vous culpabilisez et vous vous dites que vous pouvez tenir une semaine de plus si vous vous serez la ceinture, mais en fait non, ce n’est pas possible. »
Malgré le WIC et les coupons alimentaires, Barbie se rendait dans des banques alimentaires et des soupes populaires pour compléter ce qu’elle et sa famille ne pouvait pas s’acheter.
« Je veux voir un réel changement », a-t-elle déclaré. « Personne ne peut vivre sous les critères actuels où il faut être vraiment fauché et mal en point pour être admissible aux services. C’est un rappel constant que vous êtes pauvre, peu importe ce que vous faites et à quel point vous travaillez dur. »
Au début d’année, elle a pris du temps pour réfléchir aux personnes qui lui ont ouvert la voie à des opportunités. Maintenant, Barbie espère que le prix l’aidera à créer le changement qu’elle s’efforce d’atteindre depuis des années, tout en incitant d’autres à se joindre à l’effort pour une plus grande équité.
« Le prix m’aidera dans mon travail pour élever les voix des communautés qui luttent chaque jour et qui contribuent à rendre le monde plus bienveillant et équitable », a déclaré Barbie. « Cela permettra de montrer aux petites filles de couleurs, comme moi, qu’elles peuvent le faire et suivre leurs rêves, peu importe la difficulté. »
Son fils, qui a été hospitalisé d’urgence lorsqu’il était nourrisson, est maintenant en bonne santé. Au fur et à mesure que ses enfants grandissent, Barbie a l’impression de s’identifier pleinement en tant qu’organisatrice et défenseure de la communauté.
Bien qu’au début, elle ait hésité à raconter son histoire, elle sait aujourd’hui que c’est son outil le plus puissant.
« La vulnérabilité nécessite de dépasser les principes que vous vous êtes imposées », a-t-elle déclaré. « Nous devons aller au-delà de cela et briser ces murs, pour pleinement ressentir et accepter nos histoires, qu’elles soient bonnes, mauvaises ou différentes. »
Rejoignez Barbie pour passer à l’action ici.