Le réchauffement climatique pourrait anéantir les progrès considérables de la Tanzanie dans sa lutte contre le paludisme

Auteur: Sammy Awami

Ces 20 dernières années, la Tanzanie a fait des progrès considérables dans la lutte contre le paludisme, notamment grâce aux moustiquaires, aux insecticides et aux vaccins. Pourtant, de nouvelles évolutions météorologiques en Afrique de l’Est semblent indiquer qu’une nouvelle menace plane sur ces progrès : le réchauffement climatique.

En 2021, la Tanzanie a lancé un plan quinquennal visant à faire passer la prévalence du paludisme chez les enfants de moins de 5 ans sous la barre des 3,5 %.

De manière générale, le pays bénéficie d’un climat tropical. Mais les caractéristiques variées de la Tanzanie, qui s’étend du vaste lac Victoria aux flancs de la vallée du Grand Rift, créent une grande diversité de climats d’une région à une autre. Par exemple, les régions des basses terres côtières sont chaudes et humides, avec des températures allant de 17 °C à 30 °C pendant la majeure partie de l’année. En revanche, les bassins autour des lacs Victoria (nord-ouest de la Tanzanie), Tanganyika (ouest de la Tanzanie) et Nyassa (sud de la Tanzanie) présentent des températures et une humidité relativement élevées, ainsi que des précipitations plus importantes.

« Les conditions écologiques influencent la transmission du paludisme et ainsi le réchauffement climatique, avec davantage de pluies et d’humidité, pourrait entraîner une augmentation de la transmission du parasite du paludisme », estime le Dr Aifello Sichwale, chef du service médical de Tanzanie.

Le paludisme se propage lorsqu’un moustique anophèle femelle suce le sang d’un individu infecté par l’organisme microscopique plasmodium, puis se nourrit du sang d’un individu non infecté, introduisant ainsi l’organisme dans son système sanguin. Une fois l’organisme dans le système sanguin, il peut provoquer le paludisme. Par conséquent, la prévalence du paludisme est étroitement liée à la prévalence des moustiques qui transportent la maladie d’une personne à une autre.

Les symptômes courants du paludisme sont la fièvre, les maux de tête, les tremblements, les frissons et la fatigue. Très souvent, le patient peut développer des douleurs musculaires, des nausées et des vomissements. Si elle n’est pas traitée immédiatement, la maladie peut entraîner une insuffisance rénale, des convulsions, voire la mort.

Selon le rapport 2020 de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) sur le paludisme dans le monde, on comptait en 2019 plus de 229 millions de cas de paludisme sur Terre, dont plus de 90 % en Afrique subsaharienne. Tandis que la Tanzanie ne représentait que 3 % des cas de paludisme en Afrique, elle compte pourtant pour 5 % de tous les décès dus au paludisme dans le monde, soit le pourcentage le plus élevé parmi tous les pays.

Depuis le début des années 2000, la prévalence du paludisme en Tanzanie a considérablement diminué. En effet, selon le Malaria Indicator Survey de 2017, la prévalence du paludisme chez les enfants de moins de 5 ans a presque été divisée par deux, passant de 14,8 % en 2015 à 7,5 % en 2017. De même, le Dr Sichwale a déclaré à Global Citizen que le School Malaria Parasitological Survey (SMPS) mené l’année dernière avait révélé que la prévalence du paludisme chez les enfants des écoles primaires avait également diminué de près de moitié, passant de 21,6 % en 2015 à 11,8 % en 2021.

Il n’apparaît pas seulement que les cas ont été réduits de moitié, car par ailleurs moins de personnes meurent du paludisme, surtout dans les populations les plus âgées. Le Tanzania Demographic and Health Survey indique que, de manière générale, les décès dus au paludisme ont diminué de 71 %, passant de 6 311 en 2015 à 1 811 en 2021. Pour les enfants de moins de 5 ans, les décès liés au paludisme ont diminué d’environ 50 % entre 1999 et 2016.

Tabu

Tabu
Tabu est la présidente d'un groupe à Kigoma qui soutient la communauté. Grâce à son influence, elle lutte contre le paludisme par le biais de l'éducation, de partenariats et de la formation de soignants bénévoles pour sensibiliser les communautés.

Famille

Famille
Une famille qui a reçu l'aide du groupe de lutte contre le paludisme de Tabu. Ils sont maintenant des acteurs du changement dans leur communauté, contribuant à éduquer sur les fausses idées sur le paludisme. Photo prise à Kigoma, en Tanzanie, en 2019.

Danseurs

Danseurs
Des danseurs faisant partie de la communauté de Kigoma, en Tanzanie, interprètent des danses traditionnelles ngoma et contribuent à la sensibilisation autour du paludisme. Photo prise en 2019.

Ces progrès sont attribués à diverses interventions ciblant les moustiques, telles que la distribution de moustiquaires imprégnées d’insecticides de longue durée (MILD) aux populations vulnérables, les pulvérisations d’insecticide à effet rémanent à l’intérieur des habitations (IRS) et la gestion des sources larvaires. D’autres efforts ont porté sur des services étendus de diagnostic du paludisme, des thérapies préventives pour les femmes enceintes et l’amélioration de la disponibilité des tests de diagnostic et des traitements contre le paludisme, de sorte que 9 personnes sur 10 y ont désormais accès.

Toutefois, le réchauffement climatique pourrait déstabiliser la tendance positive de la gestion de la transmission du paludisme en Tanzanie. Bien que ses effets soient nombreux et complexes, il faut s’attendre à une hausse des températures mondiales et à une augmentation de la fréquence des phénomènes météorologiques extrêmes, tels que les fortes pluies. Il est presque certain que cela aura des répercussions sur la santé humaine.

Par ailleurs, la stratégie nationale de la Tanzanie en matière de réchauffement climatique, publiée il y a dix ans, confirme que ce dernier a entraîné une modification significative des schémas météorologiques, tels que des précipitations imprévisibles et des changements de température irréguliers. Elle fait également état d’une réelle inquiétude quant à l’éruption de maladies, telles que le paludisme, dans des régions comme les hauts plateaux, où le paludisme était autrefois peu présent, voire inexistant.

En outre, le paludisme est une maladie sensible au climat. En effet, les changements de température, de précipitations et d’humidité influencent non seulement le cycle de vie du moustique anophèle, mais aussi le cycle de reproduction de l’organisme plasmodium, qui provoque la maladie. Les autorités tanzaniennes s’inquiètent de la corrélation entre augmentation des températures minimales de référence et exposition croissante de grandes parties du pays (qui présentent actuellement de faibles taux de transmission) à la maladie et au risque d’épidémies.

« La faible immunité de la population vivant dans ces zones pourrait également entraîner une augmentation du taux de morbidité grave et de mortalité. Par exemple, la Tanzanie a connu une forte augmentation des cas de paludisme en 2015 en raison de l’augmentation des pluies à cette époque. La prévalence du paludisme était en baisse depuis 2008, mais a augmenté en 2015 », a déclaré le Dr Sichwale.

Toutefois, lorsqu’une personne est infectée à plusieurs reprises par le paludisme et qu’elle survit, elle peut développer une immunité contre la maladie. C’est la raison pour laquelle, dans les régions où le paludisme est endémique, de nombreux adultes immunisés peuvent survivre à l’infection sans conséquence grave. Mais le paludisme n’en reste pas moins une maladie mortelle, en particulier pour ceux qui n’ont aucune forme d’immunité. Au vu des pics erratiques de température et de précipitations que peut provoquer le changement climatique, les individus n’ayant eu aucun contact (et donc n’étant pas immunisés) avec le paludisme peuvent être infectés plus fréquemment.

Cela pourrait également signifier que ces personnes pourraient être plus susceptibles de développer des effets secondaires plus graves et d’avoir un risque de mortalité plus important que ceux qui ont survécu à la maladie plusieurs fois depuis l’enfance. En outre, tant que le climat n’est pas stabilisé, les habitants des nouvelles zones à risque peuvent ne jamais développer d’immunité, car les taux de transmission peuvent varier d’une année à l’autre. Cela signifie qu’une personne pourrait rester exposée à des effets secondaires plus graves pendant de nombreuses années, car elle ne pourrait développer une immunité au paludisme que si elle y était régulièrement exposée.

En théorie, si les températures instables sont trop fraîches pour que les moustiques se reproduisent pendant une période prolongée, les habitants des régions où les températures oscillent peuvent ne pas être exposés au paludisme de manière constante, et toute immunité à la maladie peut donc être perdue. Si les températures devaient à nouveau monter en flèche et que la maladie réapparaissait, la population serait alors davantage exposée à des formes plus graves et un risque de décès.

Jusqu’à présent, la compréhension du lien concret entre paludisme et réchauffement climatique est limitée. Les chercheurs hésitent encore à établir des liens entre l’influence tangible du changement climatique et les tendances de la transmission du paludisme.

Toutefois, il apparaît bel et bien que le réchauffement de la planète au cours du siècle dernier a entraîné une hausse des températures dans le monde entier et que les moustiques (et donc le paludisme) prospèrent dans les environnements chauds.

Des études ont enregistré une augmentation notable de la transmission du paludisme dans certaines régions en raison des changements climatiques, tandis que d’autres ne signalent aucun lien direct entre le paludisme et le réchauffement climatique.

Une étude publiée l’année dernière, menée au Kilimandjaro, dans le nord de la Tanzanie, sur une période de 10 ans, a révélé que la température constituait un facteur prédictif plus important de l’incidence du paludisme par rapport à d’autres variables météorologiques, telles que les précipitations et l’humidité.

L’étude, intitulée « Ten years of monitoring malaria trend and factors associated with malaria test positivity rates in Lower Moshi » (Dix ans de surveillance de la tendance du paludisme et des facteurs associés aux taux de positivité des tests de paludisme dans le sud de Moshi), a révélé que la transmission diminuait si les températures descendaient en dessous de 17 °C ou montaient au-delà de 32 °C, mais qu’une température de 27 °C pouvait favoriser le développement et la survie du vecteur du paludisme.

Les températures mensuelles pour le sud de Moshi, où l’étude a été menée, pendant les mois frais de juillet et août, varient entre 16,2 °C et 31,4 °C, tandis que pendant les mois chauds de janvier à mars, les températures dans cette zone varient entre 19,7 °C et 35,7 °C. L’étude a ainsi constaté que les taux de positivité des tests de paludisme ont augmenté avec l’augmentation des températures minimales mensuelles moyennes.

« Nous avons constaté que dès que la température atteint un niveau optimal pour la transmission, soit environ 27 °C, les cas de paludisme augmentent également, et ce, que les précipitations augmentent ou diminuent. La température semble être le facteur déterminant », déclare Nancy Kassam, qui fait partie de l’équipe des chercheurs de l’étude.

Bien que les conclusions de l’étude ne mettent pas en évidence le mécanisme exact du lien entre changement climatique et paludisme, Nancy Kassam affirme que ces recherches suggèrent sans doute la nécessité de surveiller de plus près le changement de température et la façon dont il affecte les tendances de la transmission du paludisme, plus que d’autres facteurs climatiques, tels que les précipitations et l’humidité.

« Il s’agit d’un signal d’alarme pour toutes les parties prenantes qui luttent contre le paludisme. Il semble que beaucoup d’efforts aient été dirigés vers des zones considérées comme des foyers de transmission du paludisme, comme Kigoma, Tanga, Muleba. D’autres zones où le paludisme est faible, voire inexistant, ont en quelque sorte été abandonnées », explique Nancy Kassam. « Mais nous devons maintenant continuer à surveiller les zones où le paludisme est presque éliminé, car il existe un risque de rebond de la transmission dans ces zones, puisque nous savons que le réchauffement climatique a lieu en ce moment. »

Les chercheurs ont établi depuis longtemps qu’une augmentation de la température en haute altitude peut également provoquer une multiplication des moustiques porteurs de paludisme. C’est la raison pour laquelle on observe une augmentation de la transmission du paludisme dans des zones qui, auparavant, ne comptaient qu’un petit nombre de cas, voire aucun. Cependant, une augmentation de la température à des altitudes plus basses où l’on comptait déjà un grand nombre de cas de paludisme modifiera le cycle de croissance du parasite du moustique, lui permettant de se développer plus rapidement, et augmentera par conséquent la transmission du paludisme.

« Il est nécessaire de créer un organe ou un mécanisme permettant de prévoir la situation à l’avenir. Pour l’instant, par exemple, nous utilisons des données vieilles de dix ans concernant le réchauffement climatique et son lien avec le paludisme », précise le Dr Leonard Mboera, responsable de la communauté de pratique sur les maladies émergentes et à transmission vectorielle à la SACIDS Foundation for One Health, à Morogoro, en Tanzanie.

Selon le Dr Mboera, il peut être difficile de se faire une idée précise des répercussions éventuelles du changement climatique sur la transmission du paludisme, en raison de la diminution significative des cas dans le pays.

D’autres chercheurs ont également mis en garde contre les conséquences de nombreuses autres activités humaines sur les écosystèmes locaux, comme la déforestation, l’irrigation et le drainage des marécages, qui peuvent compliquer l’estimation précise de l’impact du réchauffement climatique sur la transmission du paludisme.

La surveillance et la préparation à la lutte contre le paludisme n’étant peut-être pas au même niveau aujourd’hui que lorsque la maladie était considérée comme un problème de santé publique majeur, les soignants craignent que le pays ne dispose pas de suffisamment de ressources, ou de temps, pour lutter contre la réintroduction ou l’augmentation de la transmission du paludisme.