Le Canada est l’un des pays les plus riches du monde, avec une abondance de ressources naturelles, mais il est aussi marqué par la pauvreté et l’inégalité. Les communautés autochtones sont souvent parmi les plus touchées par ces difficultés.
L’accès à l’eau, en particulier, demeure un problème important, car le manque d’infrastructures et de systèmes d’eau centralisés entrave sérieusement la vie et les moyens de subsistance de nombreuses communautés des Premières nations dans tout le pays.
En date du 14 décembre, 42 avis concernant la qualité de l'eau potable à long terme étaient encore en vigueur au Canada, avec des conséquences disproportionnées sur les Premières nations. Ces avis indiquent que les résidents doivent faire bouillir l’eau avant de pouvoir la consommer en toute sécurité et sont généralement émis en cas de risque d’infection par des bactéries, des virus ou des parasites.
Le gouvernement canadien a progressivement pris des mesures pour résoudre ce problème, mais les entreprises privées en ont historiquement profité.
Par exemple, le géant de l’agroalimentaire Nestlé a puisé ce que les militants évaluent à 3,6 millions de litres d’eau dans les aquifères de Grand River, en Ontario, pour les revendre aux communautés autochtones à des prix artificiellement gonflés dans le cadre de ses activités de mise en bouteille de l’eau.
Selon le Guardian, la société a dû payer 503,73 dollars par million de litres au gouvernement de l’Ontario. En parallèle, les habitants n’ont pas été consultés et n’ont reçu aucune compensation, avec pour nul autre choix que de parcourir des dizaines de kilomètres à pied pour remplir des bidons d’eau ou acheter des bouteilles d’eau de la marque pour leur usage personnel.
En effet, bien que la Constitution canadienne affirme que le gouvernement fédéral a le « devoir de prendre en compte et de consulter » les Premières nations sur de telles décisions, les provinces ont le droit légal de décider comment l’eau est utilisée et distribuée à l’intérieur de leurs frontières.
Makaśa Looking Horse, une militante écologiste des Six Nations, a été à l’avant-garde de ce problème, soulignant les nombreux impacts sociaux, sanitaires et environnementaux de l’activité des entreprises sur les ressources en eau et les communautés autochtones.
Elle affirme que sa famille et elle se sont toujours senties intimement liées à la justice environnementale et à Mère Nature, bien avant que la militante suédoise pour le climat Greta Thunberg ne contribue à propulser cette cause au niveau international.
« [M’impliquer] dans ce combat pour l’eau était au cœur de mes convictions, de mes enseignements, de mon mode de vie et de la façon dont j’ai été élevé , a déclaré Looking Horse à Global Citizen. J’étais enracinée et ancrée dans ma culture et [l’idée] que nous devons prendre soin de notre eau et de nos générations futures. C’est pourquoi ma famille et moi avons toujours participé à des actions en faveur du climat, mais ce n’était pas vraiment étiqueté comme tel. »
Cette militante de 24 ans a mené une campagne sans relâche contre Nestlé, avec notamment des actions en justice, des discours aux Nations unies et des manifestations devant les usines de l’entreprise. En 2018, pendant la Semaine mondiale de l’eau, elle a organisé un événement sur les médias sociaux, rassemblant des milliers de personnes à travers le pays.
« Ils volent l’eau, en tirent des milliards et nous la revendent en prétendant que l’eau est un droit humain, a-t-elle déclaré. Tout cela est complètement absurde. »
Cette campagne a débouché sur une lettre de cessation et de désistement exigeant que Nestlé Canada cesse toute activité dans la région de Grand River. En mars 2021, la société a vendu ses activités de mise en bouteille d’eau en Amérique du Nord, ce que les environnementalistes et les groupes de défense ont considéré comme une victoire. (Nestlé a toutefois déclaré au Toronto Star que ni la lettre, ni la pression publique n’avaient eu quoi que ce soit à voir avec la décision, invoquant plutôt des raisons commerciales).
Malgré ce succès, Looking Horse est loin de se réjouir pour l’instant. Si Nestlé a quitté la région, elle estime qu’une compensation est toujours nécessaire pour faire face aux conséquences sanitaires et environnementales à long terme liées à l’activité de l’entreprise.
Par exemple, parce que l'entreprise s’est appuyée sur des aquifères plutôt que sur l’eau courante pour produire son eau en bouteille comme la plupart de ses concurrents, l’approvisionnement en eau souterraine a été considérablement affecté, car ces nappes mettent des décennies ou plus à se reconstituer, rapporte le Guardian. Pire encore, la région était déjà touchée par des sécheresses, ce qui a entraîné une baisse des nappes phréatiques.
La pollution plastique est une autre conséquence possible à long terme, car les bouteilles en plastique finissent souvent dans des décharges, où elles peuvent mettre des centaines d’années à se décomposer, ou dans des étendues d’eau, où elles sont ingérées par la faune.
Looking Horse concentre désormais ses efforts sur l’obtention de réparations pour les dommages causés et sur la lutte contre le racisme environnemental, des inégalités profondément enracinées et le colonialisme qui ont conduit à la crise actuelle.
« Il ne s’agit pas seulement d’un problème autochtone, mais d’un problème mondial », a-t-elle déclaré.
« Si les jeunes et tout le monde — les peuples autochtones, les afro-autochtones, la communauté LGBTQ — s’unissent comme nous l’avons fait auparavant, alors nous pourrons faire évoluer les choses. »