Le Pakistan reste l’un des deux seuls pays au monde, avec son voisin l’Afghanistan, où la polio est endémique. Alors que les cas de polio ont chuté de 99% dans le monde depuis 1998, des problématiques complexes dans ces pays empêchent l’éradication totale de la maladie.
Au 8 août, on comptait 14 cas de poliovirus sauvage de type 1 ( PVS1) dans le pays. Cela représente une augmentation significative par rapport à 2021, où le Pakistan a enregistré un cas de WVP1 et huit cas de poliovirus circulant dérivé de vaccin de type 2 (cVDPV2) tout au long de l’année.
Avant 2019, l’élimination de la poliomyélite au Pakistan semblait pleine d’espoir, aucun cas de WPV1 n’ayant été signalé pendant plusieurs mois, de janvier 2017 à la mi-2018, avant que le pays ne connaisse une recrudescence des cas, exposant les enfants pakistanais à un risque accru de contracter cette maladie débilitante.
La poliomyélite (polio) est une maladie virale hautement infectieuse qui se propage d’une personne à l’autre, principalement par transmission orofécale ou, plus rarement, par les gouttelettes d’une personne infectée ou par une voie commune comme l’eau ou les aliments contaminés. Bien que la plupart des cas de polio soient asymptomatiques, le virus peut entrainer une paralysie ou la mort.
Bien qu’il n’existe aucun remède contre la polio, cette maladie infectieuse peut être évitée grâce à des vaccins fiables et efficaces : le vaccin antipoliomyélitique oral (VPO) ou le vaccin antipoliomyélitique inactivé (VPI), qui peuvent protéger un enfant à vie.
A polio vaccinator working in a high-risk, marginalized area where dirty water and sewerage acts as a breeding ground for poliovirus and other water-borne diseases in Sultanabad, Karachi, Pakistan on Aug. 21, 2022.
Certaines populations du Pakistan, comme les peuples nomades, qui migrent pour des raisons économiques ou saisonnières, sont plus exposées au risque de contracter la polio. En outre, les conflits et l’insécurité posent d’autres problèmes, tant pour la sécurité des agents de santé de première ligne que pour la population locale, qui est plus susceptible d’être déplacée, et donc plus difficile à suivre.
Alors que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) met en place un système pour suivre ces groupes, identifier leurs implantations et s’assurer que des équipes spécialisées surveillent les vaccinations des enfants, Hamid Jafari, directeur de l’éradication de la polio à l’OMS, a expliqué que les groupes tribaux du pays sont « difficiles à [capturer], tant pour la surveillance que pour les vaccinations ».
Les zones tribales, semi-autonomes et anciennement connues sous le nom de Federally Administered Tribal Areas, font désormais partie de la province pakistanaise de Khyber Pakhtunkhwa, située dans le nord-ouest du pays, le long de la frontière entre le Pakistan et l’Afghanistan.
« Ce sont dans ces zones tribales très complexes où règne une grande insécurité politique et sociale que nous découvrons beaucoup d’enfants non vaccinés », a déclaré Jafari à Global Citizen.
Certaines zones du pays sont également dépourvues d’importantes infrastructures d’approvisionnement en eau et d’assainissement, ce qui constitue un terrain propice à la prolifération des virus. En outre, les mythes et les théories conspirationnistes sur le vaccin sont très répandus dans certaines régions, ce qui amène les gens à croire que le vaccin contre la polio est une intervention occidentale visant à stériliser la population ou que la prise du vaccin est haram, c’est-à-dire qu’elle est interdite aux musulmans par la loi islamique.
Si ces idées fausses sont répandues, l’hésitation à se faire vacciner au Pakistan s’est accrue lorsqu’une enquête a révélé que la CIA avait organisé une fausse campagne de vaccination dans le pays pour obtenir l’ADN de la famille d’Oussama ben Laden. Les conséquences ont été immédiates - certaines organisations internationales de santé et de développement ont été expulsées du pays alors qu’elles n’étaient pas impliquées dans cette opération - et sont à long terme, les chercheurs ayant constaté une baisse des taux de vaccination (de 29 % pour la polio et de 39 % pour la rougeole) dans certains districts dans les années qui ont suivi.
A polio vaccinator's backpack is photographed while out in the field in Karachi, Pakistan on Aug. 21, 2022.
Au Pakistan, les agents de santé en première ligne sont régulièrement confrontés à des risques pour leur sécurité, notamment le harcèlement et les attaques. En juin, un travailleur de la santé et deux agents ont été abattus lors d’une campagne de vaccination contre la polio dans la province de Khyber Pakhtunkhwa. Plus tôt dans l’année, une femme travaillant dans le domaine de la polio a été tuée, et un agent assurant la sécurité des travailleurs de la santé a également été assassiné dans deux incidents distincts.
Sufi Mujhgan Nazish Karim, une militante pour la santé originaire de cette province qui travaille depuis 2014 dans les zones tribales pour fournir aux gens des informations dignes de confiance sur la polio, a déclaré à Global Citizen qu’elle a fait l’objet de menaces répétées et a été agressée pour avoir promu la vaccination contre la polio.
Karim, qui a perdu trois de ses collègues ces dernières années en raison d’attaques contre des agents de santé, a exprimé une tristesse particulière pour un homme dont l’activisme l’a inspirée.
« J’ai vu la passion dans ses yeux lorsqu’il s’exprimait au sujet des femmes. Il expliquait toujours pourquoi nous avions besoin de femmes [agents de santé] dans les régions intérieures », a-t-elle déclaré.
Karim a déclaré qu’il avait été tué par des talibans qui pensaient qu’il défendait un « programme occidental ».
Selon elle, plusieurs autres attaques et meurtres contre des agents de santé n’ont pas été relayés par la presse locale au Pakistan, laquelle ne veut pas publier d’informations relatives à la campagne de vaccination. Elle a déclaré qu’ils attribuent souvent les attaques ou les meurtres d’agents de santé à d’autres raisons afin d’éviter toute controverse.
A polio vaccinator goes door to door to vaccinate children in Sultanabad, Karachi, Pakistan on Aug. 21, 2022.
Les travailleuses de la santé sont essentielles au succès des campagnes de lutte contre la polio dans la mesure où elles ont accès aux foyers d’une manière que les hommes n’ont pas. Dans la culture pakistanaise, il est peu probable que les femmes autorisent un agent de santé masculin à entrer dans leur foyer, explique Karim. Les femmes sont donc plus réceptives à l’idée d’autoriser d’autres femmes à entrer chez elles et à contrôler le nombre d’enfants dans le foyer et leur carnet de vaccination.
Cependant, les militantes et les travailleuses de la santé sont plus susceptibles d’être victimes de harcèlement et d’agressions que leurs homologues masculins. Karim a déclaré que les travailleuses de la santé sont régulièrement harcelées, que ce soit parce qu’elles sont jeunes ou parce qu’elles sont veuves. Outre les réactions négatives des membres de la communauté, les travailleuses de la santé sont parfois victimes de harcèlement de la part de leurs supérieurs masculins.
« C’est une situation très difficile », a déclaré Karim, expliquant que les femmes n’ont souvent pas d’autre choix pour gagner de l’argent que de travailler pour les campagnes de vaccination.
Malgré cela, le recrutement de femmes comme agents de santé de première ligne pour les campagnes de vaccination dans les régions tribales est particulièrement difficile, a expliqué Jaffari.
(L) Polio vaccination teams head out to their assigned communities in Karachi, Pakistan on Aug. 21, 2022. (R) A polio vaccinator collects the vaccine in her carrier before heading to a community.
« Il y a des régions du pays, notamment là où nous assistons actuellement à une épidémie, où il est culturellement et socialement extrêmement difficile de recruter des femmes en première ligne », a déclaré Jafari. « Ces conditions sont très, très difficiles ».
Selon Jafari, l’OMS et ses partenaires étudient la possibilité d’engager des femmes de ces communautés bénéficiant déjà d’un accès aux foyers - comme les accoucheuses traditionnelles - et de les intégrer officiellement aux campagnes de vaccination contre la polio.
Si les femmes comme Karim sont les plus exposées lorsqu’elles informent les communautés, forment d’autres agents de santé et mettent en œuvre les campagnes, elles jouent un rôle déterminant dans l’élimination de la poliomyélite, car la confiance et l’accès sont essentiels pour garantir des taux de vaccination élevés.
Selon Karim, par manque de motivation des agents de santé et à cause de la pression exercée pour atteindre les objectifs, certains agents de santé de première ligne font intentionnellement de fausses déclarations sur le nombre de foyers qu’ils ont visités ou de vaccins qu’ils ont administrés, ce qui rend difficile de garantir que chaque enfant au Pakistan est vacciné contre la polio.
A polio vaccination team checks for vaccination markings on children's fingers as they come across them playing on the street in Sultanabad, Karachi, Pakistan on Aug. 21, 2022.
Dans un village où elle s’est rendue dans le cadre d’une campagne de vaccination, l’équipe de Karim a trouvé près de 100 enfants qui n’avaient jamais reçu une seule dose du vaccin contre la polio. Elle a estimé entre 800 et 900 le nombre total d’enfants dans le village.
Selon Jafari, l’OMS est consciente de l’existence de groupes d’enfants non vaccinés, qui provoquent des épidémies.
« D’un point de vue épidémiologique, il est toujours important de réaliser que 13 des 14 cas au Pakistan en ce moment proviennent d’une zone située dans un rayon de 16 kilomètres, c’est donc très localisé », a-t-il expliqué, faisant référence au district du Nord-Waziristan dans la province de Khyber Pakhtunkhwa.
Le 14e cas de polio se situe dans le district de Lakki Marwat, qui se trouve également dans la province de Khyber Pakhtunkhwa, ce qui montre que la propagation du virus au Pakistan est actuellement limitée à cette région, a-t-il expliqué.
Le Pakistan a récemment lancé une campagne nationale de lutte contre la polio visant près de 43 millions d’enfants, selon l’OMS. La campagne couvrira tous les districts du pays et commencera par six des districts à haut risque du sud de Khyber Pakhtunkhwa, les autres districts du Pakistan suivant peu après.
Selon Jafari, l’OMS s’apprête à mener une enquête auprès de tous les agents de santé de première ligne au Pakistan pour comprendre leurs difficultés et savoir comment mieux les soutenir.
Il souligne que, malgré l’augmentation récente des cas de polio dans le pays, il est encore possible d’éliminer la maladie.
« Ce n’est pas parce que nous assistons à une épidémie... que cela signifie que le programme a intégralement reculé », a-t-il déclaré à Global Citizen. « Tant que nous pouvons maintenir les foyers de polio traditionnels à travers le Pakistan et l’Afghanistan [sous forte surveillance], nous sommes toujours sur une base solide pour éradiquer la polio. »
L’Initiative mondiale pour l’éradication de la poliomyélite (IMEP) est un partenariat entre les gouvernements nationaux, l’OMS, le Rotary International, les Centres américains de contrôle et de prévention des maladies, l’UNICEF, la Fondation Bill & Melinda Gates et Gavi, l’Alliance pour les vaccins.
Au Pakistan, l’IMEP s’efforce de vacciner chaque enfant contre la polio et recueille des engagements politiques, des ressources financières et un soutien technique pour appuyer ses efforts dans l’éradication de la maladie.
En avril, l’IMEP a lancé un dossier d’investissement visant à obtenir 4,8 milliards de dollars pour mettre en œuvre sa stratégie 2022-2026.
Depuis sa création en 1998, l’IMEP estime que son travail a permis d’éviter que 16 millions de personnes ne soient paralysées et que 1,5 million de personnes ne meurent des suites de la polio.
Bien que la lutte contre la polio dans le contexte du Pakistan soit complexe en raison de problèmes politiques, culturels et autres, il est fondamental de renforcer les systèmes de surveillance de la polio et d’assurer une couverture vaccinale élevée.
Cela permettra d’identifier les enfants qui n’ont pas été vaccinés, de s’assurer que les membres de la communauté comprennent l’importance de vacciner leurs enfants contre la polio, et donc de prévenir tout nouveau cas afin que les enfants aient les meilleures chances possibles de mener une vie en bonne santé.
A polio vaccination team walks through the streets of their assigned community to ensure they have not missed any children at the end of a week-long vaccination drive in Sultanabad, Karachi, Pakistan on Aug. 21, 2022.
La fin de la polio est en vue, mais le virus fait tout son possible pour se relancer. The Comeback We Never Wanted est une série de contenus qui examine comment et pourquoi les épidémies de polio ont augmenté ces dernières années, en se penchant sur les questions liées à l'accès aux soins de santé, en abordant l'impact du COVID-19, la difficulté de naviguer dans les zones de conflit et les groupes terroristes, etc.
Divulgation : Cette série a été rendue possible grâce au financement de la Fondation Bill et Melinda Gates.