La Cour suprême des États-Unis a décidé jeudi dernier de restreindre le pouvoir de l’Agence de protection de l’environnement (EPA) de réglementer les émissions de CO2 des centrales électriques, limitant ainsi fortement le pouvoir du gouvernement de lutter contre le changement climatique et annulant officiellement le Clean Power Plan.

Dans son avis sur la décision West Virginia v. EPA, le juge en chef John Roberts a écrit que le Clean Air Act est « le dernier endroit où l’on s’attendrait à trouver » la capacité de l’agence à réglementer l’énergie du charbon aux États-Unis.

L’EPA a été créée pour protéger la qualité de l’eau et de l’air. C’est l’agence censée empêcher la pollution de nuire aux Américains. C’est vrai, pourquoi cette agence aurait-elle un intérêt à réglementer l’une des principales causes de pollution aux États-Unis ?

La décision de la Cour est le fruit de plusieurs décennies d’efforts de la part de l’industrie des combustibles fossiles et de groupes d’entreprises privées pour réformer le système réglementaire américain, et de fait, cette décision a été vivement critiquée par les scientifiques et les défenseurs du climat en raison de ses conséquences désastreuses pour l’environnement.

« La décision illogique de la Cour suprême d’entraver la capacité de l’EPA à limiter la pollution par le carbone des centrales électriques rend beaucoup plus difficile la réalisation de la mission fondamentale de l’agence, qui est de protéger la santé humaine et l’environnement », a déclaré Dan Lashof, directeur de la division États-Unis du World Resources Institute.

May Boeve, directrice exécutive de l’organisation environnementale 350.org, a expliqué en quoi cette décision est dangereuse au moment même où la crise climatique s’aggrave à l’échelle mondiale.

« La Cour suprême s’est rangée du côté de l’industrie des combustibles fossiles et a dépouillé les agences fédérales de bon nombre de leurs pouvoirs », a-t-elle déclaré. « Pour l’EPA, cela signifie qu’elle n’a plus le pouvoir de protéger l’environnement, notre population et notre économie contre une crise climatique croissante. Selon le Wall Street Journal, l’inaction en matière de climat pourrait coûter 178 000 milliards de dollars à l’économie mondiale d’ici 2070. En limitant le pouvoir de l’EPA de réglementer la pollution du secteur de l’énergie, qui représente un quart des émissions américaines contribuant au changement climatique, la Cour suprême met en danger nos familles, notre environnement, notre santé et notre avenir. »

Les implications de cet arrêt vont bien au-delà des États-Unis. L’atmosphère polluée ne tient pas compte des frontières, et les émissions qui en résultent mettront la vie en danger partout.

Réduire les émissions

Le Clean Power Plan a été déployé pour la première fois en 2015 sous la présidence de Barack Obama afin d’accélérer la transition vers les énergies renouvelables dans le cadre d’un effort plus large visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre des États-Unis. Au cours des années suivantes, le plan s’est retrouvé ballotté entre sa mise en application, sa suspension, sa modification et sa remise en application, jusqu’à ce qu’il soit stoppé par l’industrie du charbon de Virginie-Occidentale qui a intenté un procès pour s’en débarrasser une fois pour toutes.  

Et la Cour suprême en a profité.

Si vous lisez l’intégralité des 32 pages de l’avis de Roberts, vous vous trouverez transporté dans un univers alternatif où le changement climatique n’est pas une menace urgente et où les intérêts financiers des entreprises de combustibles fossiles ont la priorité sur la santé et le bien-être des gens ordinaires.

Dans cet univers, le tribunal prend en compte les coûts relatifs à la construction de parcs éoliens et solaires, mais ne tient pas compte des coûts exponentiellement plus importants liés au changement climatique - les coûts des soins de santé, les dommages causés par des conditions météorologiques extrêmes, les inondations et la migration des populations des villes côtières. Il tient compte des emplois perdus dans l’industrie des combustibles fossiles, mais pas des emplois gagnés dans les secteurs des énergies renouvelables et de la préservation de l’environnement. Et il note que la transformation du réseau énergétique augmenterait le coût du chauffage et de l’électricité dans les foyers, alors que les recherches montrent que les énergies renouvelables sont désormais moins chères que les combustibles fossiles.


La juge Elena Kagan a exprimé son profond désaccord par écrit, soutenant que l’EPA était tout à fait dans ses limites pour mettre en œuvre le Clean Power Plan - y compris la section de la Loi sur la qualité de l’air que Roberts a qualifiée de « zone d’ombre peu utilisée jusqu’à présent », et dont il a affirmé qu’il était « hautement improbable » que le Congrès ait voulu permettre à l’EPA de réglementer les centrales électriques au charbon.  

« En réécrivant ce texte, la Cour substitue ses propres idées sur les délégations à celles du Congrès », a-t-elle ajouté. « Et cela signifie que la Cour substitue ses propres idées sur l’élaboration des politiques à celles du Congrès ».

Mais la majorité de la Cour a fini par l’emporter. Si l’EPA veut réglementer les émissions de carbone à l’avenir, elle doit obtenir l’autorisation expresse du Congrès. Sans quoi, le mandat de l’EPA, qui vise à protéger l’environnement et à garantir la pureté de l’air, n’est pas suffisant pour mettre progressivement un terme à la combustion de combustibles fossiles.

Mais le Congrès étant dans une impasse - et le plan « Build Back Better » de l’administration Biden, qui prévoit des mesures climatiques importantes et des investissements ambitieux, étant bloqué indéfiniment - il semble peu probable que cela se produise.

Une crise mondiale

La décision de jeudi n’est que le dernier exemple en date de l’échec des institutions américaines vis-à-vis de la communauté mondiale et de l’environnement. Au cours du dernier demi-siècle de diplomatie mondiale, les États-Unis n’ont cessé de retarder, d’entraver et de saper l’action climatique.

Au début du XXIe siècle, les protocoles de Kyoto auraient créé un cadre mondial pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre si les États-Unis n’avaient pas interféré. Des projets similaires ont été bloqués et atténués jusqu’à ce que l’Accord de Paris sur le climat soit finalement promulgué en 2015, mais les États-Unis ont brusquement quitté ce cadre volontaire, compromettant ainsi sa large adoption. Aujourd’hui, alors que les pays cherchent à renforcer l’Accord de Paris et à créer des mécanismes pour un financement équitable du climat, les États-Unis bloquent à nouveau l’action.

Pendant tout ce temps, les États-Unis ont augmenté leur production de combustibles fossiles, exporté des combustibles fossiles à l’étranger et financé une industrie militaire dont l’empreinte environnementale est plus importante que celle de la plupart des pays.

Empêcher l’EPA de remplir ses fonctions aura de nombreuses répercussions, notamment une augmentation des concentrations de CO2 dans l’atmosphère. Cela pourrait également affaiblir la solidarité mondiale, rendant moins probable la transformation du secteur énergétique d’autres pays.

Après tout, les États-Unis sont le principal responsable historique de la dégradation du climat, puisqu’ils sont à l’origine d’environ 20 % des émissions globales de gaz à effet de serre. S’ils refusent d’éliminer progressivement le charbon, pourquoi les autres pays devraient-ils le faire ?

Les conséquences de ces décisions dans le monde réel sont indéniables. Les températures mondiales dépassent de près de 1,2 degré Celsius les niveaux de l’ère préindustrielle, des vagues de chaleur mortelles s’abattent sur des continents entiers, des tempêtes extrêmes frappent des communautés, les régions polaires s’effondrent, l’eau potable se fait de plus en plus rare, l’océan se transforme en une région chaude acide, des espèces animales et végétales souffrent et meurent, et cette planète autrefois luxuriante devient un désert.

Le pire, c’est que cette catastrophe peut être arrêtée. Le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat montre que nous disposons dès à présent de la technologie, des ressources financières et du consensus public nécessaires pour favoriser la régénération de l’environnement et la transformation économique.

La grande majorité des personnes à travers le monde comprennent la nécessité de réduire les émissions de gaz à effet de serre, ce qui met la population mondiale en désaccord avec une institution américaine non élue qui détient un pouvoir énorme.

« Quelles que soient les autres connaissances de cette Cour, elle n’a pas la moindre idée de la manière de faire face au changement climatique », a conclu Kagan dans sa déclaration dissidente. « Et disons l’évidence : les enjeux ici sont élevés. Pourtant, la Cour empêche aujourd’hui les agences autorisées par le Congrès d’agir pour réduire les émissions de dioxyde de carbone des centrales électriques. La Cour se nomme elle-même - au lieu du Congrès ou de l’agence experte - le décideur en matière de politique climatique. Je ne peux imaginer de choses plus effrayantes ».

L’industrie du charbon est en voie de disparition, quoi que fasse la Cour suprême. Mais même quelques années supplémentaires de fours industriels projetant du smog dans l’air pourraient nous pousser au-delà d’un point de non-retour environnemental.

Opinion

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Par Joe McCarthy