En 2009, le typhon Ondoy a frappé les Philippines et déplacé des centaines de milliers de personnes. Les personnes vivant dans les quartiers populaires de Pasig City, dans le sud-est de Manille, ont non seulement perdu leur maison, mais ont également été contraintes par le gouvernement de déménager en raison du risque lié aux futures tempêtes.
De nombreux membres de la collectivité souhaitent être hébergés à proximité de l'endroit où ils ont élevé leur famille et gagné leur vie. Ils ont donc travaillé avec les acteurs locaux, le gouvernement et les partenaires internationaux pour élaborer un plan d'adaptation au climat, c'est-à-dire un processus d'ajustement aux effets de plus en plus graves du changement climatique existant et futur.
Dans le cadre de ce plan, les membres de la communauté ont choisi un emplacement sur un talus afin de réduire les risques d'inondation. Ils ont également érigé des bâtiments avec des matériaux plus résistants aux vents et aux inondations, et ont placé les infrastructures clés, telles que les réservoirs d'eau, à des endroits stratégiques afin qu'elles soient à l'abri du danger.
Aujourd'hui, la population ne peut pas loger tous les membres des quartiers défavorisés, mais, comme le souligne le World Resources Institute (WRI), elle est bien mieux armée pour faire face à la prochaine tempête. De plus, le projet fournit un modèle à suivre pour les autres communautés qui s'adaptent à une aggravation du changement climatique.
Dans les années à venir, les pays devront perfectionner l'art et la technique de l'adaptation au climat. Il n'est plus responsable, ni même viable, de maintenir les formes actuelles d'infrastructures, d'agriculture, d'urbanisme, d'utilisation des terres et de développement économique.
« L'adaptation au changement climatique est un impératif moral, économique et environnemental, a déclaré Christina Chan, directrice de la pratique de la résilience climatique au WRI, à Global Citizen. Investir dans l'adaptation, ce n'est pas accepter la défaite et l'échec. C'est accepter la réalité. »
Cette réalité, c'est celle de la décennie la plus chaude de l'histoire, caractérisée par l'aggravation des tempêtes tropicales et l'élévation du niveau de la mer. Les pays doivent faire face à des sécheresses de plus en plus fréquentes, à une acidification des océans et à une diminution des sources d'eau douce. L'agriculture devient plus difficile, la déforestation se poursuit et les maladies infectieuses sont de plus en plus probables. Chaque année, plus de 21,5 millions de personnes sont déplacées par des événements liés au climat et 100 millions de personnes pourraient être poussées dans la pauvreté à cause du changement climatique d'ici 2030.
Face à ces défis, l'adaptation au changement climatique est une question de survie.
Mais à quoi pourrait-elle ressembler dans le monde ? Et en quoi cette adaptation peut-elle nous aider à mieux affronter le changement climatique ?
Une nouvelle normalité
Depuis plus d'un demi-siècle, les scientifiques appellent les dirigeants mondiaux à freiner le changement climatique et à protéger la planète en mettant un terme aux émissions de gaz à effet de serre.
Cependant, ces recommandations ont été si peu respectées qu'elles ne suffiront plus : les pays doivent désormais investir dans des mesures d'adaptation.
L'adaptation au changement climatique est le revers de la médaille de l'atténuation du changement climatique. Alors que l'atténuation vise à empêcher la dégradation de l'environnement, l'adaptation cherche à permettre aux populations de vivre dans un environnement bouleversé.
Beatrice, a female farmer in Kakamega, Kenya, works in her garden where she grows herbs, vegetables and potatoes that she also sells to local markets.
Beatrice, a female farmer in Kakamega, Kenya, works in her garden where she grows herbs, vegetables and potatoes that she also sells to local markets.
L'adaptation au climat désigne toute mesure visant à protéger une communauté ou un écosystème des effets du changement climatique, tout en renforçant la résilience climatique à long terme face à l'évolution des conditions environnementales.
L'adaptation est ouverte et prend de nombreuses formes. Elle peut être disruptive, comme lorsqu'une communauté entière est relocalisée, ou discrète, comme lorsqu'un littoral est consolidé. Elle englobe divers aspects, tels que l'aide aux agriculteurs afin qu'ils puissent cultiver la terre avec des précipitations moindres, ou le renforcement des bâtiments pour qu'ils puissent résister aux inondations. Elle comprend également l'installation de systèmes d'alerte précoce pour les catastrophes naturelles et l'amélioration de la gestion des voies navigables.
Les solutions basées sur la nature, c'est-à-dire la conservation ou la restauration des écosystèmes, sont également des mesures d'atténuation, car elles permettent souvent de réduire les émissions atmosphériques tout en soutenant les objectifs d'adaptation. Le reboisement des mangroves le long des côtes de Java en Indonésie protège les communautés des inondations, la réhabilitation de la Grande Barrière de Corail stimule l'économie australienne, et la contribution à la Grande Muraille Verte dans la région du Sahel en Afrique améliore la sécurité alimentaire et hydrique. Ces efforts créent également des puits de carbone qui, avec d'autres initiatives, peuvent permettre au monde de parcourir 37 % du chemin vers la réalisation de l'accord de Paris sur le climat.
L'adaptation au climat doit être guidée par les priorités locales. Certaines régions ont besoin d'aide pour surmonter les inondations, tandis que d'autres ont besoin de soutien pour faire face aux vagues de chaleur. Bien que le changement climatique soit universellement ressenti, certains pays et régions doivent s'adapter plus rapidement que d'autres. L'Afrique subsaharienne est largement considérée comme la région la plus vulnérable aux chocs climatiques, tandis que les pays scandinaves sont relativement à l'abri de perturbations majeures.
Comme l'illustrent de façon frappante les tempêtes tropicales, les retards de financement coûtent plus cher aux pays en termes de dommages et de coûts d'adaptation futurs. Le cyclone Idai a causé au moins 2 milliards de dollars de dommages au Mozambique, au Malawi et au Zimbabwe, un coût qui aurait été bien moindre si des investissements pour la résistance au climat avaient été réalisés à l'avance.
This photo issued March 19, 2019, taken within last week, flood waters cover large tracts of land in Nicoadala, Zambezia, Mozambique. Floodwaters have created "an inland ocean," endangering many thousands of families in the aftermath of Cyclone Idai.
This photo issued March 19, 2019, taken within last week, flood waters cover large tracts of land in Nicoadala, Zambezia, Mozambique. Floodwaters have created "an inland ocean," endangering many thousands of families in the aftermath of Cyclone Idai.
En effet, l'ONU estime que 1,8 trillion de dollars investis dans des programmes d'adaptation permettraient aux pays d'économiser 7,1 trillions de dollars en coûts climatiques. Les mesures d'adaptation favorisent également la croissance économique : en investissant entre 250 et 500 dollars par hectare de terre dans des pratiques agricoles résistantes au climat, on pourrait plus que doubler certains rendements.
António Guterres, le secrétaire général des Nations Unies, a récemment déclaré que l'adaptation devrait représenter 50 % de tous les financements liés au climat dans le monde. Actuellement, elle bénéficie d'environ 20 % du financement global consacré au climat, le reste étant consacré aux efforts d'atténuation, comme l'investissement dans les sources d'énergie renouvelables et la modernisation des bâtiments pour les rendre plus efficaces sur le plan énergétique.
António Guterres a fait ses remarques lors du tout premier Climate Adaptation Summit, un événement au cours duquel les dirigeants mondiaux ont examiné l'aptitude de récentes initiatives disparates à être incorporées dans des cadres d'adaptation plus larges qui donnent la priorité à la justice climatique.
Le sommet, qui s'est tenu les 25 et 26 janvier, a ouvert la voie à une année de conventions sur le climat qui pourraient accélérer les efforts d'adaptation à l'échelle mondiale.
L'adaptation intervient principalement dans les pays à revenu élevé, alors que les pays à faible revenu ont souvent manqué des ressources nécessaires pour construire des digues, améliorer les systèmes agricoles et développer des infrastructures résistantes aux tempêtes. Cette disparité reflète et exacerbe le caractère injuste du changement climatique. Bien que les pays à faible revenu soient les moins responsables du changement climatique, ils en sont souvent les plus touchés.
Selon les estimations des Nations Unies, les pays en développement ont actuellement besoin d'environ 70 milliards de dollars par an pour s'adapter au changement climatique. Cette somme pourrait atteindre 300 milliards de dollars d'ici 2030.
L'accord de Paris sur le climat tente de niveler ce déséquilibre en valorisant certaines institutions multilatérales qui collectent des fonds pour financer des projets d'atténuation et d'adaptation dans les pays en développement, comme le Fonds vert pour le climat. Ces organisations ont eu du mal à atteindre leurs objectifs en matière de financement, mais les choses pourraient changer à mesure que la tendance mondiale à l'adaptation se renforcera.
L'adaptation au climat passe par la justice climatique
A boy holds up a small globe during a global protest on climate change in Sao Paulo, Brazil, Sept. 20, 2019. Across the globe, hundreds of thousands of people took to the streets to demand that leaders tackle climate change in the run-up to a UN summit.
A boy holds up a small globe during a global protest on climate change in Sao Paulo, Brazil, Sept. 20, 2019. Across the globe, hundreds of thousands of people took to the streets to demand that leaders tackle climate change in the run-up to a UN summit.
À bien des égards, la pandémie de COVID-19 ressemble à la crise climatique : une menace sans frontières qui submerge les systèmes de santé publique et les économies et qui ne peut être surmontée que par la coopération et la solidarité internationales.
Les pays élaborent actuellement des plans de relance susceptibles d'accélérer les efforts d'atténuation du changement climatique et d'adaptation à celui-ci. Si les législateurs du monde entier se montrent à la hauteur de la situation, ils pourront financer une transition vers des économies vertes, développer des solutions basées sur la nature et investir dans les communautés marginalisées, a déclaré M. Chan.
« Il est de plus en plus reconnu qu'en reconstruisant mieux, il est possible de renforcer la résilience face à de multiples risques : non seulement la pandémie et les risques sanitaires, mais aussi les risques économiques et climatiques », a souligné Mme Chan.
Cette approche intersectionnelle est la clé de l'adaptation au climat et elle doit façonner la politique gouvernementale à l'avenir, a-t-elle ajouté. Par exemple, toutes les agences gouvernementales peuvent prendre en compte les risques climatiques dans les processus décisionnels afin de ne pas exposer les communautés à des menaces environnementales ou d'exacerber le changement climatique, tout en s'assurant qu'elles obtiennent les financements dont elles ont besoin. Les agences agricoles peuvent quant à elle utiliser les mêmes données pour mettre en place des politiques qui protègent les travailleurs contre ces températures plus élevées.
Dans la mesure où le changement climatique touche de manière disproportionnée les personnes vivant dans la pauvreté et les communautés marginalisées, l'adaptation au climat implique de remédier à des inégalités plus profondes
Faute de quoi, les inégalités en matière d'eau, de nourriture et d'accès à la terre ne feront que s'aggraver.
« Nous risquons de vivre un scénario d'apartheid climatique où les riches paieront pour échapper au réchauffement, à la faim et aux conflits, tandis que le reste du monde sera livré à lui-même, a déclaré Philip Alston, rapporteur spécial des Nations Unies sur l'extrême pauvreté et les droits de l'homme, en 2019. Le changement climatique est, entre autres, une agression inadmissible contre les populations pauvres. »
C'est pourquoi l'adaptation au climat est indissociable de la justice climatique.
Sa réalisation exige un certain nombre de choses. Premièrement, les pays riches doivent financer la majeure partie de l'adaptation au climat à l'échelle mondiale. Autrement dit, ils doivent soutenir financièrement des projets d'adaptation dans les pays à faible revenu. Cela peut prendre la forme d'un soutien aux institutions multilatérales comme le FCM, le Fonds d'adaptation, le Fonds pour l'environnement mondial et l'Initiative internationale sur le climat, ou d'une aide directe à l'étranger. La pandémie de COVID-19 a bouleversé les dépenses d'aide étrangère, les ressources étant affectées aux actions de lutte contre la pandémie, mais les plans de relance économique peuvent rétablir et même faire monter les niveaux antérieurs d'aide étrangère, a indiqué Mme Chan.
Comme le souligne le rapport de l'ONU sur les lacunes en matière d'adaptation, « il existe un risque réel que les coûts d'adaptation augmentent plus rapidement que les financements destinés à l'adaptation ».
La justice climatique exige également une participation de la population locale, par opposition à une mise en œuvre du haut vers le bas. Selon le WRI, 40 gouvernements et institutions se sont récemment engagés à soutenir un ensemble de principes pour une adaptation dirigée au niveau local, qui permettrait notamment de remédier aux inégalités structurelles et de donner aux membres des communautés la possibilité de prendre des décisions en matière de financement.
« Il s'agit d'un cheminement collectif d'apprentissage et de transformation de la conception, des pratiques et des cadres de suivi qui produira des solutions holistiques et durables pour les personnes les plus vulnérables aux effets du changement climatique », a précisé Sheela Patel, présidente de Slum Dwellers International et commissaire de la Commission mondiale sur l'adaptation, dans une déclaration.
Tout projet comporte un volet essentiel d'évaluation, afin de déterminer ce qui fonctionne et ce qui peut être amélioré. À l'heure actuelle, le manque de financement, de données et de soutien institutionnel a limité la capacité de suivi des projets d'adaptation au climat. De nombreux projets d'adaptation, tels que la résilience agricole, ont besoin d'un financement continu pour conserver leur efficacité et atteindre leurs objectifs à long terme.
Lorsque les pays ne disposent pas de systèmes de suivi institutionnels, les projets d'adaptation peinent souvent à recevoir un financement qui ne soit pas ponctuel, d'autant plus que les budgets, pour diverses raisons, peuvent fluctuer d'une année sur l'autre. À l'avenir, les pays et les institutions multilatérales doivent normaliser la manière dont les projets sont suivis et évalués afin que le financement puisse être mieux alloué et continuellement garanti.
Cette lacune semble pouvoir menacer les perspectives d'adaptation. Mais comme le montrent des événements tels que le sommet sur l'adaptation au climat, le discours international semble évoluer. Les dirigeants mondiaux admettent volontiers que la crise climatique doit être combattue par des politiques audacieuses.
La décennie à venir pourrait se caractériser par le maintien du statu quo, par l'aggravation du changement climatique et des inégalités, et par l'anéantissement des communautés par l'océan ou les tempêtes. Elle pourrait aussi être marquée par une transformation, une nouvelle rigueur et une nouvelle transparence en matière d'adaptation, et un niveau de résilience climatique permettant aux populations de s'épanouir.