Changement climatique, conflits, augmentation de la faim : voici certains des défis auxquels notre monde fait face aujourd'hui.
Ces derniers mois, nous avons vu les prix des aliments de base monter en flèche pour atteindre des niveaux record, affectant la capacité de millions de ménages dans le monde à se nourrir et à nourrir leurs familles.
Mais si la crise de la faim est un phénomène mondial, elle ne touche pas tout le monde de la même manière.
Au Canada, où les prix des aliments sont en forte hausse, les communautés autochtones sont les plus durement touchées. Dans le Nord, les fruits frais peuvent coûter jusqu'à 28 dollars, le ketchup 16 dollars, et un pain blanc, un aliment de base dans de nombreux foyers, coûte 7 dollars au Labrador, contre 4 dollars à Ottawa.
Que se passe-t-il ?
« Les prix des aliments ont toujours été plus élevés dans les communautés éloignées, a déclaré à Global Citizen le Dr Malek Batal, titulaire de la chaire de recherche du Canada sur la nutrition et les inégalités en matière de santé. Des études montrent que le panier nutritif de Santé Canada pour une famille de quatre personnes était [...] deux fois plus élevé dans certaines communautés reculées que dans les grands centres urbains de la même province. »
En moyenne, une famille d'Attawapiskat, une communauté des Premières Nations dans le nord de l'Ontario, dépensait 1909 dollars en nourriture par mois, contre 847 dollars à Toronto en 2016. Étant donné que l'inflation a atteint des niveaux record cette année, le chiffre est probablement plus inquiétant aujourd'hui. En Australie, le constat n'est pas différent : le coût de l'approvisionnement en nourriture dans les communautés reculées est nettement plus élevé que partout ailleurs dans le pays.
Les conditions météorologiques extrêmes, les coûts de transport élevés et l'accès limité aux produits locaux ont toujours contribué à ces écarts. Cependant, les communautés des Premières Nations sont aujourd'hui confrontées à la hausse des prix des aliments, une tendance qui risque de s'aggraver alors que le monde est en proie à des conflits et s'enfonce dans une récession économique.
Selon l'organisation à but non lucratif Canadian Feed the Children, la hausse de 9 % du prix des denrées alimentaires à laquelle est confrontée la majeure partie du pays aura un ressenti de 20 % sur les communautés autochtones isolées. L'augmentation du prix de l'essence et la guerre qui se déroule actuellement en Ukraine n'aident pas non plus.
« Avec l'inflation actuelle et la hausse des prix même dans les grands centres du sud du pays ces prix ont augmenté encore plus dans les régions reculées menaçant d'aggraver l'insécurité alimentaire dans les communautés autochtones », a déclaré M. Batal.
On estime à 4,4 millions le nombre de Canadiens souffrant d'insécurité alimentaire, mais le taux chez les Premières Nations est de trois à cinq fois supérieur à celui de l'ensemble de la population, surtout pour les familles avec enfants, selon M. Batal. De plus, comme l'accès à la nutrition est intersectionnel, d'autres facteurs comme l'âge et le statut économique peuvent aggraver le problème.
« Les familles bénéficiant de l'aide sociale et celles qui ont des enfants connaissent davantage l'insécurité alimentaire », a ajouté M. Batal.
Quels sont les trois faits essentiels à connaître ?
Le prix des aliments est beaucoup plus élevé dans les régions éloignées que dans le reste du Canada, et les communautés autochtones sont les plus durement touchées.
Des produits courants comme les fruits peuvent coûter jusqu'à 28 dollars, et le ménage autochtone moyen vivant dans une région reculée dépense presque deux fois plus pour la nourriture que dans les grandes villes du Canada.
L'insécurité alimentaire affecte la capacité des gens à mener une vie saine, entraînant stress psychologique, diabète et obésité, et alimentant la pauvreté et les inégalités systémiques.
Quelles sont les principales causes de l'insécurité alimentaire ?
Les recherches montrent que dans les régions reculées du pays, les gens dépendent de deux sources principales d'alimentation : les ressources naturelles, terre et eau douce, et, généralement, un grand détaillant qui approvisionne la communauté et les marchés alimentaires mondiaux. Le problème est que l'option du détaillant reste souvent hors de portée pour ces régions en raison de leur isolement géographique.
Comme la culture des aliments dans les régions subarctiques (comme celles du Nord canadien) est une tâche quasi impossible, les aliments doivent souvent être livrés aux communautés vivant dans les réserves par avion ou par bateau, à un coût élevé. Historiquement, cela a limité l'accès aux produits frais, ne laissant aux communautés d'autre choix que de dépendre de produits importés coûteux.
De plus, les Premières Nations n'ont qu'une souveraineté limitée sur leurs terres et ne peuvent généralement pas exploiter la terre et l'eau, ce qui les oblige à acheter leur nourriture à l'extérieur.
La chasse et la pêche, deux activités traditionnelles pour de nombreuses communautés autochtones, sont fortement réglementées au Canada et ne constituent donc pas des sources d'alimentation durables. À cela s’ajoute un long héritage de racisme systémique, de capitalisme colonial et de ruptures du savoir intergénérationnel causées par le système des pensionnats, soit un ensemble de conditions propices à l'aggravation de l'insécurité alimentaire.
Quel impact cela a-t-il sur la vie des populations ?
L'incapacité d'accéder à des aliments à des prix abordables contribue à la pauvreté et aux inégalités, mais aussi à une mauvaise santé physique et mentale, pour ne citer que quelques-uns de ses effets pervers.
Le diabète et l'obésité, par exemple, sont deux fois plus susceptibles de toucher les communautés autochtones vivant dans le nord de l'Ontario que dans le reste du pays, et les femmes et les filles sont parmi les plus à risque. La dépression, l'anxiété et le stress psychologique intense sont également plus fréquents dans ces communautés, en partie à cause de l'incertitude que représente l'approvisionnement en nourriture et son coût.
Quel est le lien avec l'extrême pauvreté ?
Les Objectifs mondiaux, adoptés par l'Organisation des Nations Unies en 2015, définissent 17 objectifs pour mettre fin à l'extrême pauvreté dans le monde. Dans le cadre de ce mandat, l'élimination de la faim, la lutte contre l'insécurité alimentaire et l'amélioration de la nutrition grâce à l'agriculture durable sont considérées comme des domaines prioritaires.
En particulier, l'ONU exhorte les dirigeants mondiaux à promouvoir l'accès universel à la nourriture et à mettre fin à toutes les formes de malnutrition, un objectif que le Canada n'a pas encore accompli.
En raison de sa nature complexe, la faim a également un effet d'entraînement sur la réalisation de tous les autres objectifs, y compris l'Objectif n°3 pour la santé et le bien-être de tous.
Qui sont les principaux acteurs de la lutte contre la faim ?
Au Canada, des organisations comme l'Indigenous Food Systems Network (ISFN) et le Working Group on Indigenous Food Sovereignty (WGIFS) sont le fer de lance des efforts déployés pour lutter contre l'insécurité alimentaire dans les réserves. Réunissant des chercheurs, des décisionnaires et des producteurs alimentaires autochtones, leur objectif est de partager les ressources et de permettre aux Premières Nations de prendre part aux processus décisionnels liés à la sécurité alimentaire.
Réseau pour une alimentation durable Canada, une autre organisation fondée en 2001, s'efforce également d'améliorer l'accès à la nourriture dans tout le pays, jouant un rôle clé en incitant le gouvernement à adopter un programme national d'alimentation scolaire. En décembre 2021, le Premier ministre Justin Trudeau a mandaté la ministre de l'Agriculture et de l'Agroalimentaire, Marie Bibeau, et la ministre des Familles, des Enfants et du Développement social, Karina Gould, pour le déployer, mais le programme ne s'est pas matérialisé.
Enfin, des influenceurs et des créateurs de contenu comme Shina Nova et Kyra Flaherty font partie intégrante de la conversation en sensibilisant leurs followers.
Quelles mesures pouvons-nous prendre contre ce phénomène ?
Selon les acteurs de la société civile, la première étape pour lutter contre l'insécurité alimentaire des communautés autochtones consiste à renforcer les systèmes alimentaires locaux et à redonner aux communautés le pouvoir de prendre des décisions.
Pour les Premières Nations, l'alimentation traditionnelle représente bien plus que la nutrition elle joue des rôles culturels spirituels et cérémoniels importants », a déclaré dans un communiqué Tonio Sadik, directeur principal de l'environnement, des terres et de l'eau de l'Assemblée des Premières Nations. Il est urgent de s'attaquer aux problèmes et aux obstacles structurels liés aux systèmes alimentaires à la sécurité et à la souveraineté des Premières Nations d'une manière qui respecte les connaissances le leadership et les droits des Premières Nations. Il faut créer de nouveaux programmes de nouvelles politiques et de nouvelles lois pour protéger l'environnement de toute dégradation supplémentaire et faire en sorte que les Premières Nations aient accès à une alimentation saine y compris à des aliments traditionnels. »
Pour M. Batal, cela s'avérerait plus utile que d'augmenter le soutien financier aux familles, une mesure qui, selon lui, a fourni une aide insuffisante par le passé.
En fin de compte, cependant, le démantèlement des inégalités et de l'oppression de longue date auxquelles les Premières Nations sont toujours confrontées nécessitera un travail continu de notre part à tous. En tant qu'individus, nous pouvons commencer par amplifier les voix et les initiatives de ceux qui investissent leur temps et leur énergie pour aider à créer un monde plus équitable.